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Abandon des mutilations génitales féminines : histoires collectées sur le terrain

(Mars 2009) Jusqu’à 140 millions de femmes et de fillettes du monde entier ont subi des mutilations génitales féminines (MGF/C) et plus de 3 millions de fillettes risquent de subir cette procédure chaque année sur le seul continent africain. L’abandon personnel de la pratique des MGF/C est presque impossible sans le soutien des réseaux sociaux, en particulier au sein des groupes endogames. Grâce à Tostan, des personnes novatrices et courageuses ont réussi à mobiliser l’ensemble de leurs communautés grâce à des programmes d’éducation transversaux et une attention aux droits de la personne au sein du contexte socioculturel de la communauté afin qu’elles renoncent à cette pratique.

Le 4 février 2009, Molly Melching, fondatrice et directrice exécutive de Tostan, une organisation axée sur la démarginalisation des femmes, des adolescents et de leurs communautés a répondu à des questions posées sur ce sujet par des visiteurs du site Web du PRB. Ancienne volontaire du Corps de la Paix, Molly Melching a vécu et travaillé au Sénégal pendant 34 ans et a attiré l’attention de la communauté internationale sur son succès dans la mise en application de programmes ayant pour objet d’améliorer les conditions de vie des femmes. Par ailleurs, elle a lancé dans les communautés des campagnes prônant l’abandon des mutilations génitales féminines (MGF/C) et cherchant à réduire la mortalité maternelle et infantile, renforcer la scolarisation et l’inscription des naissances, encourager les femmes à jouer un rôle de premier plan et mettre un terme aux mariages précoces ou forcés.

La transcription de cette discussion animée a été traduite et est présentée ci-dessous :

Transcription de la discussion en ligne du 4 février 2009.

Q : L. Ritz :

Les [mutilations génitales féminines] … sont-elles pratiquées par des gens qui viennent s’installer aux Etats-Unis ?

A : Molly Melching :

Oui, cette pratique demeure même aux Etats-Unis. Les MGF représentent une convention sociale requise pour le succès d’un mariage et la respectabilité au sein d’un groupe ethnique donné, de sorte que le lieu de résidence n’a pas d’importance. De fait, nombre de gens éprouvent souvent le besoin de « prouver » qu’ils n’ont pas abandonné leurs traditions lorsqu’ils ont émigré en Occident, et ressentent même une pression accrue de continuer leurs pratiques. Il est donc essentiel d’inclure les groupes de la diaspora dans tous les efforts de sensibilisation aux MGF dans la mesure où leur influence sur les membres de leurs communautés dans leur pays d’origine est considérable.

Q : Ernest Nettey :

D’après votre expérience, quelles sont les relations entre les MGF et la religion en Afrique ? Les MGF sont-elles une pratique plus courant au sein de certaines congrégations religieuses en Afrique (et de la diaspora africaine) ? Dans l’affirmative, à quoi cela est-il dû et comment peut-on impliquer les autorités religieuses dans une intervention ?

A : Molly Melching :

Les gens pensent souvent que les MGF sont une pratique recommandée par l’Islam. De nombreux participants au programme de Tostan affirment qu’ils désirent abandonner la pratique mais ne peuvent le faire car il s’agit d’une obligation d’ordre religieux. Cependant, il ne s’agit pas d’une pratique requise ou recommandée par l’Islam et bien des chefs religieux connus se sont exprimés contre elle. Tostan travaille toujours en étroite collaboration avec des chefs religieux au niveau national comme au niveau local pour informer les personnes et répondre à leurs questions. Nous nous sommes aperçus qu’au fur et à mesure que de plus en plus de participants comprennent les violations des droits humains associées aux MGF et les conséquences négatives sur la santé, ils font pression sur les chefs religieux pour qu’ils s’expriment en faveur des efforts prônant l’abandon de la pratique. Nous sommes convaincus que les personnes au niveau des communautés peuvent exercer des pressions considérables sur les dirigeants (chefs religieux, personnalités politiques, autorités locales) pour qu’ils contribuent à l’abandon de la pratique. C’est la raison pour laquelle il est important de fournir une éducation approfondie et habilitante aux membres des communautés dans leur propre langue, et ces derniers exigeront par la suite une intervention de la part de leurs dirigeants.

Q : Palang Kasmi :

La culture est liée à la pratique des MGF au Nigeria. Comment peut-on mettre un terme à cette pratique ?

A : Molly Melching :

Lorsque l’on demande aux gens pourquoi ils pratiquent les MGF, ils répondent souvent – c’est notre tradition, c’est notre culture. Les gens répètent bien des choses qu’ils ont apprises de leurs parents et de leur société, souvent sans s’interroger sur leur raison d’être. Ils savent simplement que s’ils ne font pas quelque chose que tout le monde attend d’eux, ils risquent d’être marginalisés, voire frappés d’ostracisme et isolés de leur groupe social. Aller à l’encontre des attentes signifie risquer une réprobation intense, ce qui est difficile, voire impossible pour une personne seule. Par exemple, une mère dans un village n’oserait jamais faire quelque chose qui risquerait de porter préjudice à la réputation de sa fille ou à ses chances de mariage.

C’est pourquoi il est important de permettre aux personnes qui pratiquent les MGF de discuter des avantages et des inconvénients de la poursuite ou de l’abandon de la pratique sans jugement, honte ou blâme. Si les personnes parviennent en groupe à un consensus selon lequel les MGF ne leur permettent pas d’atteindre leurs objectifs de santé, de bien-être et d’harmonie, il leur faut ensuite convaincre l’ensemble de leur famille élargie de se ranger à leur décision. C’est pour cette raison que Tostan organise fréquemment des rencontres entre villages pour permettre aux gens de discuter et de parvenir à une décision. Ceci débouche souvent sur une déclaration publique au cours de laquelle la famille étendue se rassemble et prend sa décision de manière unie. La déclaration publique symbolise le moment auquel la norme sociale change. Personne n’est censé pratiquer de MGF après une déclaration publique, de sorte que personne ne souffre de la décision prise.

Q : Kantroo Chaman :

Tous ces rites et ces rituels dangereux résultent des superstitions et de l’arriération de ces sociétés. Les anciennes convictions irrationnelles, le manque de compréhension de la valeur de la vie humaine et l’absence d’un point de vue moderne contribuent à ces pratiques inhumaines. A ces conditions s’ajoutent les croyances dans la supériorité masculine, la réticence des femmes à ne pas respecter les normes traditionnelles, et l’absence de ressources financières suffisamment solides pour leur donner l’accès à une éducation moderne et aux médias d’informations. Tout ceci retarde les progrès dans ce domaine et d’autres liés à la démarginalisation des femmes. Pensez-vous qu’à moins d’un changement dans la tournure d’esprit des femmes, ces progrès demeureront un rêve impossible ? Quelles sont les mesures que vous suggérez pour éliminer cet obstacle ?

A : Molly Melching :

Bonjour Kantroo,

L’histoire des communautés qui se sont livrées à des déclarations publiques de renonciation collective aux MGF nous révèle la manière dont cette pratique peut être éliminée et la raison pour laquelle de plus en plus de personnes sont convaincues que les MGF peuvent devenir un vestige du passé plus rapidement qu’on ne le pensait possible auparavant. Comme je l’ai indiqué plus haut, des milliers de personnes au Sénégal ont renoncé à la pratique, et ceux qui rejoignent ce mouvement sont de plus en plus nombreux. Ce qui est crucial c’est qu’il ne s’agit pas de quelque chose d’imposé par « l’Occident » ; il s’agit de communautés africaines informées et habilitées qui prennent des décisions par elles-mêmes, ensembles, pour leur santé, leurs droits humains, leurs responsabilités et leur avenir.

Chez Tostan, nous n’avons jamais pensé que les communautés ne comprenaient pas la valeur de la vie humaine. En réalité, nous avons découvert le contraire—nous travaillons avec des villageois qui prennent soin les uns des autres, des gens qui recherchent la paix et veulent construire des communautés robustes. Nous avons également découvert que ces personnes étaient rationnelles. Si quelqu’un ne dispose pas de toutes les informations sur un sujet donné, ce n’est probablement un signe d’irrationalité, mais souvent simplement de manque d’informations.

Tostan s’est aperçu que l’ajout d’une formation en droits de l’homme à nos programmes encourageait une discussion des pratiques sociales susceptibles de contribuer à la réalisation des objectifs poursuivis pour un avenir meilleur. Ceci exige une réflexion sur les traditions, souvent pour la première fois, prônant le maintien de celles qui sont positives et l’abandon de celles qui sont nocives.

Q : Henry Tagoe :

Le conflit entre la culture et la loi pousse ces pratiques dans la clandestinité. Que peut-on faire dans les endroits où, bien que les MGF soient interdites par la loi, elles n’en sont pas moins pratiquées par un segment de la population en raison de croyances culturelles indigènes ?

A : Molly Melching :

Henry, il est vrai que nous voyons cette pratique plonger dans la clandestinité dans nombre de pays. Cependant, au sein des communautés, la pratique n’est pas dissimulée — tout le monde sait qui a ou n’a pas subi d’excision. C’est la raison du succès des interventions au sein des communautés sénégalaises — parce que, une fois que les communautés sont démarginalisées et qu’elles mènent le mouvement, elles peuvent toucher certains de leurs membres que personne de l’extérieur ne pourrait atteindre.

Dans un cas, un village au Sud-est du Sénégal a abandonné les MGF mais l’exciseuse est partie dans un autre village (où la pratique était maintenue) pour exciser une fillette. Ce sont les femmes de sa propre communauté qui ont soumis l’affaire au tribunal et même insisté pour que la femme soit jetée en prison. Dans la mesure où elle avait pris part à la déclaration, les autres avaient l’impression qu’elle avait abusée de leur confiance et violée le pacte souscrit par la communauté.

Il est important d’informer les gens des lois existantes, mais il est encore plus crucial d’assurer une éducation émancipatrice dans les langues nationales avant de faire appliquer la loi — tout particulièrement dans les pays à taux de prévalence élevée. Sinon, la loi risque de rester lettre morte.

Q : Irene Maweu :

Quelqu’un m’a dit que si nous encouragions les hommes à participer aux efforts d’éradication des mutilations sexuelles féminines et de l’excision, nous pourrions faire des progrès considérables. Existe-t-il des pays dans lesquels les hommes se trouvent en première ligne de la lutte contre les MGF/C ?

A : Molly Melching :

Excellente remarque, Irene. Notre expérience dans sept pays africains nous a montré que les hommes se sont révélé des leaders énergiques du mouvement en faveur de l’abandon des MGF. Nous incluons les hommes dans le Programme d’habilitation des communautés, et au fur et à mesure qu’ils sont informés sur les droits et responsabilités humains et qu’ils comprennent les souffrances imposées aux femmes, ils commencent à appuyer les efforts pour mettre un terme à la pratique. De fait, dans un village, un homme très intelligent du nom de Demba Diawara a aidé Tostan à comprendre qu’il faut un accord entre toutes les communautés du réseau social pour que l’abandon de la pratique devienne réalité. Il s’est adressé à sa famille élargie de manière respectueuse et a mené des discussions dans toutes ces communautés jusqu’à ce tout le monde comprenne la pratique et décide d’y mettre un terme. Son travail a débouché sur la première déclaration publique faite par 12 villages interconnectés le 14 février 1998. Il est l’un des principaux leaders du mouvement depuis lors.

La plupart des hommes nous disent : « On ne savait pas ! » Dès que les femmes commencent à leur expliquer certains des problèmes auxquels elles et leurs filles se heurtent, les hommes comprennent que cette pratique ne doit pas continuer. Ce sujet était auparavant tabou, et personne n’avait jamais parlé des MGF, en particulier au sein des groupes mixtes.

Il convient en outre de noter qu’aucun groupe ne peut à lui seul mettre un terme à la pratique — ceci exige une décision commune de tous les membres de la famille élargie — hommes, fillettes, grand-mères, chefs religieux, anciens des villages, minorités ethniques, majorités ethniques, exciseuses, membres de la diaspora — tout le monde doit être impliqué. Par ailleurs, le soutien des autorités au niveau local comme au niveau national est d’importance critique pour le succès de ce processus.

Q : Kofi Awusabo-Asare :

C’est une bonne idée de se pencher sur la question des MGF et de mener cet effort jusqu’à sa conclusion logique.

Mais ne poussons-nous pas cette pratique dans la clandestinité ? Par quoi remplaçons-nous le système social qui l’accompagnait ? Nous ne pouvons pas simplement espérer qu’une pratique va disparaître et la remplacer exclusivement par une éducation formelle.

A : Molly Melching :

Bonjour Kofi,

Il est possible que la pratique soit poussée dans la clandestinité — mais il est impossible qu’elle reste longtemps dans la clandestinité une fois que les communautés elles-mêmes prennent en charge le mouvement en faveur de l’abandon de la pratique. La raison en est qu’au sein des communautés qui ont abandonné la pratique, on ne veut plus que les fillettes soient soumises à l’excision — et par suite les familles auraient beaucoup plus de mal à envisager de soumettre les fillettes à une excision, même de manière clandestine. Les communautés elles-mêmes dénoncent les cas après la déclaration publique car elles se sont appropriées le processus et sont habilitées à agir.

En ce qui concerne votre deuxième question, nous avons découvert que les MGF ne représentent qu’un élément d’un système social beaucoup plus vaste — et que ces systèmes sociaux demeurent en place après l’abandon de la pratique, même si certains de leurs aspects ont changé. Lorsque Tostan arrive dans une communauté, nous commençons par en inviter les membres à définir de manière consensuelle leurs buts et leurs objectifs pour l’avenir. Ils discutent ensuite les droits humains et les responsabilités connexes sur une période de plusieurs mois. A la fin de ces sessions, les participants décident par eux-mêmes quelles sont les pratiques sociales qui les aideront à atteindre leurs objectifs et quelles sont celles qu’il convient d’abandonner. En d’autres termes, avant le programme, les participants opéraient à partir d’un « script » qui leur venait de leurs ancêtres, de la société, etc. et qu’ils n ont jamais remis en cause. A la conclusion du programme, les participants ont analysé et discuté le « script » reçu et sont habilités à le modifier si nécessaire pour atteindre les nouveaux objectifs qu’ils ont déterminés en commun.

Comme m’a dit un jour une villageoise, « Notre communauté n’est pas un musée — il faut toujours changer les choses que l’on peut améliorer ».

Q : Marie-Hélène Mottin-Stlla :

Focaliser les stratégies d’intervention sur les MGF sur l’approche juridique ne risque-t-il pas de renforcer la judiciarisassions des rapports sociaux ? Ce qui se réglait autrefois sous l’arbre à palabre devra se régler devant les tribunaux ?

A : Molly Melching:

Au Sénégal, les milliers de villages qui ont abandonné collectivement l’excision ont pris cette décision historique avec fierté, sous l’arbre à palabres, et non pas de force, devant les tribunaux !

Lorsqu’on regarde l’exemple du pays où Tostan est né, on voit que l’histoire du processus d’abandon de l’excision ne vient pas de la mise en œuvre d’une approche juridique, mais de l’appropriation par les communautés d’un programme d’éducation, basé sur les droits humains — en écho aux normes morales qui régissent déjà leurs modes de vie. Le processus d’abandon résulte de la prise de conscience collective des conséquences néfastes de la pratique ainsi que de l’importance de la protection des droits humains et de la possibilité d’un abandon coordonné, intercommunautaire.

L’approche de l’abandon de l’excision par le modèle communautaire — « l’abandon collectif » — porte ses fruits depuis 1997. Plus de 3 548 communautés au Sénégal se sont engagées dans le mouvement ! Au vu de ces résultats, cette approche respectueuse, compréhensive et positive a été retenue non seulement par le gouvernement du Sénégal, mais aussi par l’ensemble des organismes des Nations Unies dans leur déclaration conjointe inter-institutions de 2008.

Les éléments fondamentaux qui ressortent de ce mouvement de masse en faveur de l’abandon de l’excision au Sénégal montrent qu’il est non seulement peu efficace mais encore contre-productif de focaliser les stratégies d’intervention des MGF sur l’approche juridique.

Le processus qui mène à l’abandon de l’excision est un processus multisectoriel : à tous les échelons et dans tous les domaines, l’action est concertée. Bien évidemment la justice est concernée, dans le sens où la protection des droits humains de la personne est en jeu, mais elle est concernée au même titre que la santé, l’éducation, la protection de la femme, la solidarité.

Au Sénégal, la loi de 1999 a suivi le processus d’abandon qui était en cours depuis le serment de Malicounda Bambara en 1997. La loi est venue accompagner le processus et reconnaître l’importance de l’engagement des femmes de Malicounda, Medina Cherif et Baliga. Elle a été fort controversée ; il est prouvé que la loi — non seulement du fait de la difficulté de son application mais aussi à la suite des violentes réactions qui ont suivi sa promulgation — n’a pas eu un impact direct sur la diminution de la pratique de l’excision. Dans des sociétés où la demande d’excision est universelle, la conséquence de la loi — la punition des parents ou de l’exciseuse — comporte moins de danger que la conséquence de ne pas faire exciser son enfant, qui serait alors isolé socialement et dont les perspectives de mariage seraient anéanties.

Peut-on considérer l’ensemble de la population d’un pays comme des criminels ? Nous ne le croyons pas. Les populations qui pratiquent l’excision pensent par là prendre une décision qui va assurer l’avenir des jeunes filles. On a vu certains effets néfastes de la loi se traduire par l’abaissement de l’âge de l’excision et par la pratique clandestine, renforçant les risques directs pour la santé des filles (voir la stratégie coordonnée pour l’abandon de l’excision en une génération, Unicef, 2005). Cela ne veut pas dire que l’approche juridique est inadéquate ; cela dépend de ce que l’on attend comme résultats. Si l’on veut favoriser l’abandon de l’excision de la part des populations, alors l’approche juridique est insuffisante et elle peut créer des réactions qui renforcent la pratique. L’amendement, l’adoption et la mise en application des lois doivent se faire en consultation avec la population et ses leaders religieux et traditionnels. Elles doivent être accompagnées de campagnes d’éducation et d’information afin de promouvoir le soutien général de la population en faveur de l’abandon de la pratique.

Mais l’abandon de l’excision est avant tout le résultat d’un processus participatif, positif, d’évolution sociale au niveau communautaire. Les programmes, comme Tostan, qui ont réussi à faciliter ce résultat à grande échelle, ne portent pas de jugement. Voici un extrait de la déclaration conjointe des Nations Unies (OMS, HCDH, ONUSIDA, PNUD, UNCEA, UNESCO, UNFPA, UNHCR, UNICEF, UNIFEM) : « Il est apparu que les programmes qui incluent des activités d’éducation permettant aux populations de faire des choix, de mener des discussions et des débats qui prévoient des engagements publics et une diffusion organisée permettent d’obtenir le consensus et la coordination nécessaires pour un abandon durable de l’excision au niveau des communautés […] l’éducation visant à une responsabilisation permet aux populations d’examiner leurs propres croyances et valeurs relatives à la pratique d’une manière dynamique et ouverte, qui ne soit pas ressentie ou perçue comme menaçante ».

Q : Hanny Lightfoot-Klein :

Chère Molly Melching,

Voilà bien longtemps que nous ne nous sommes pas parlé en personne, mais je continue à me tenir informée du travail très important que vous faites.

Je me trouve maintenant à Pittsburgh, en Pennsylvanie, pour des activités de sensibilisation de communautés étudiantes du secondaire et même du supérieur ainsi que du corps enseignant de Chatham University pour les deux semaines à venir. J’ai apporté le documentaire préparé par Morgan Pollok il y a deux ans sur votre travail et le mien. Je continue à écrire, à donner des conférences et à servir de témoin expert près les tribunaux américains pour le droit d’asile et les tribunaux britanniques. A ce jour, j’ai obtenu qu’un droit d’asile soit accordé à plus de 110 femmes, et, ce qui est encore plus important, à leurs filles. C’est une merveilleuse « fin de carrière » pour une vieille dame comme moi. J’ai maintenant 82 ans et je n’ai pas l’intention de ralentir.

Mes efforts des 30 dernières années ne sont bien sûr rien en comparaison de vos 38 années d’expérience en Afrique. Je suis extrêmement heureuse de vos succès. J’ai toujours su que la quatrième décennie serait d’importance cruciale et nous commençons enfin à voir des changements se produire.

J’ai également apporté avec moi un des couteaux d’exciseuse mais pas un de ceux qui ont été enterrés quelque part dans le désert lors d’une cérémonie de dépôt des couteaux. Ce couteau m’a été envoyé, et j’espère vivre assez longtemps pour voir celui-ci enterré lui aussi.

J’aimerais énormément avoir de vos nouvelles.

A : Molly Melching :

Très chère Hanny,

Wow! Merci infiniment de ce message remarquable. Vous incarnez l’un des grands jalons de l’histoire de l’abandon des MGF. Tostan reconnaît que sans les recherches et l’activisme de personnes qui comme vous ont passé des années sur le terrain à étudier les MGF, ce mouvement à la base n’aurait pas vu le jour au Sénégal et ailleurs. Nous vous sommes profondément reconnaissants de tout ce que vous avez fait, en particulier dans la mesure où il était encore plus difficile de parler de ces questions il y a plusieurs années. Demba Diawara, le villageois de Keur Simbara qui a aidé Tostan à voir comment procéder, m’a dit un jour que si nous avions soulevé la question dix ans plus tôt au sein des communautés parmi lesquelles des mariages avaient lieu, nous n’aurions peut-être pas pu quitter l’endroit en vie, car ce sujet était un tabou absolu. Nous vous devons donc une reconnaissance infinie.

Nous sommes très heureux que les exciseuses déposent leurs couteaux, mais ce qui est encore plus important selon nous, c’est l’habilitation de milliers de femmes qui renoncent en confiance à la pratique parce que, pour la toute première fois, elles ont l’impression d’avoir vraiment un choix.

Comme j’aimerais pouvoir vous embrasser de ma part et de la part de toutes ces Sénégalaises extraordinaires !

Q : Sylla Ndeye Astou :

Après l’évaluation du plan d’action MGF 1998-2001 — la stratégie retenue pour mener les activités afin d’atteindre l’objectif fixé (éradication des MGF au Sénégal d’ici 2015) — que devons-nous faire pour accélérer l’abandon de la pratique des MGF au Sénégal ?

A : Molly Melching :

Suite à l’évaluation du Plan d’action national du Sénégal pour 1998-2001 pour l’abandon de la pratique de l’excision, et dans le cadre du mouvement d’accélération de l’abandon, le gouvernement du Sénégal a organisé un atelier sous-régional à Dakar du 13 au 15 octobre 2008.

Cet atelier, rassemblant des acteurs locaux et des représentants des pays voisins du Sénégal (Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Mali et Mauritanie) a été l’occasion de discuter de la mise en place d’une approche partagée par tous ces pays face à un objectif commun.

Tous les participants se sont accordés sur le fait qu’une seule et même action concertée et commune permettra l’atteinte de l’objectif d’abandon total d’ici à 2015. Cette conception d’une action transfrontalière correspond à la vision de diffusion organisée de Tostan. En effet, elle engendrera une action démultipliée, touchant les populations au travers des réseaux communautaires et culturels, en dépit des barrières géographiques et gouvernementales.

Par ailleurs, nous pensons que l’éducation de base, fondée sur une approche humaine, suivie des réunions entre villages et des déclarations publiques d’abandon de l’excision sont indispensables. Ces déclarations sont des manifestations-clés dans le processus d’abandon et doivent bénéficier d’une plus large publicité. La communication et l’information du grand public jouent un rôle fondamental dans la prise de conscience à un niveau mondial. Il serait donc souhaitable d’inviter plus de personnes à participer à ces déclarations, notamment des populations de régions voisines dans le cadre strictement national, ainsi que des représentants des régions transfrontalières dans le cas de déclarations dans des régions frontalières.

Q : Judy Brink :

Que pensez-vous de l’efficacité de l’approche consistant à mettre en place des rituels de substitution ?

A : Molly Melching :

Je pense que les rituels de substitution peuvent fonctionner dans les domaines où les rites d’initiation sont associés à l’excision même tant que ces nouveaux rituels incluent une éducation habilitante pour la communauté toute entière. Tostan s’est aperçu que la mesure la plus importante que l’on peut prendre consiste à mettre en place un programme holistique, axé sur les droits de la personne, consistant en une éducation non formelle dans les langues nationales pour tous les membres d’une communauté afin de permettre l’information de tous et la prise d’une décision unifiée d’abandon de la pratique.

Gerry Mackie, un expert des mutilations génitales féminines, a étudié ce sujet dans l’ouvrage intitulé : Female Circumcision in Africa: Culture, Controversy and Change. Bettina Shell-Duncan et Ylva Hernlund, eds. pp. 253-281. Boulder: éditions Lynne Rienner. Le chapitre est intitulé : Female sexual mutilation: The Beginning of the End.

Il peut être consulté sur le site Web de Tostan dans la section « Ressources ».

Q : Dr Josephine Alumanah :

Je viens d’une région où les MGF sont effectuées lorsque les femmes sont enceintes. J’ai participé à une discussion avec des groupes de femmes de la région, qui se sont toutes dites en faveur des MGF « parce que c’est notre tradition ». Après qu’une des femmes a fait un commentaire, j’ai décidé de procéder à un entretien en profondeur. On s’est aperçu que bon nombre de familles avaient abandonné la pratique, contrairement à ce qu’avait apparemment révélé le groupe de discussion. Elles ne procèdent pas à l’excision mais se livrent à tous les autres rituels, par exemple le paiement de certaines sommes d’argent, l’achat de vêtements pour certains membres de la famille, des achats pour l’épouse, etc. Ceci est particulièrement important si le mari ne vient pas de la ville. En d’autres termes, les MGF sont effectuées pour les bénéfices qu’elles apportent. Les gens ne sont pas tant en faveur de l’acte à proprement parler, mais ils peuvent en retirer un bénéfice. Cette information n’a pas été révélée pendant la discussion de groupe parce que personne ne voulait être celui ou celle ayant révélé le secret. Pour les participants, la tradition demeure, quelle que soit la forme qu’elle prend. Qu’en pensez-vous ?

A: Molly Melching:

Dr. Alumanah, votre contribution est extrêmement intéressante ! Merci infiniment de nous avoir fait part de cette information.

J’ai assisté en mai dernier à une conférence de l’UNICEF à laquelle participait Cristina Bicchieri, un professeur de l’Université de la Pennsylvanie et l’auteur d’un ouvrage remarquable intitulé : « The Grammar of Society » (La grammaire de la société). Elle a expliqué que les normes sociales sont souvent suivies non pas tant en raison d’un choix conscient mais plutôt en raison des attentes des autres membres du groupe. Dans certains cas, d’aucuns souhaitent peut-être vivement abandonner les MGF mais ils ne veulent pas en parler en public de crainte d’être perçus par leurs compatriotes comme ayant « trahi leur culture ». Bien des membres du même groupe souhaitent peut-être secrètement abandonner la pratique mais ils ne savent pas que d’autres pensent comme eux, et continuent donc ou refusent de reconnaître leur abandon afin d’éviter la réprobation sociale. C’est ce que le Professeur Bicchieri appelle « l’ignorance pluraliste ».

Un chef de village m’a expliqué un jour qu’elle souhaitait depuis longtemps abandonner les MGF mais n’osait pas en parler à qui que ce soit. Elle m’a dit avoir écouté à la radio les cérémonies de déclaration d’abandon des MGF et en avoir été très heureuse. Je lui ai demandé pourquoi elle n’avait pas parlé plus tôt avec les autres membres de l’abandon de la pratique. « Je n’ai pas osé », a-t-elle dit, « de crainte d’être tournée en ridicule ». Ce n’est que lorsque des membres de sa famille vivant dans d’autres villages qui y avaient renoncé sont venus parler avec sa communauté qu’ils ont publiquement discuté de la renonciation à la pratique. « J’ai été tellement surprise de découvrir que mes propres voisins étaient prêts à y mettre un terme, et même ma meilleure amie ! Une de ses amies du même nom qu’elle était morte d’une hémorragie et sa propre fille était allée à l’hôpital et je ne le savais pas ! », m’a-t-elle dit.

Peut-être que les personnes que vous avez interrogées craignaient elles aussi d’admettre qu’elles avaient renoncé à la pratique. Les cadeaux et les « avantages » ont-ils pu être employés comme camouflage — des signes visibles d’une cérémonie nécessaire pour convaincre les autres que la pratique continue ? De cette manière, ils se protègent contre le jugement extérieur éventuel d’autres membres de leurs familles qui n’ont pas abandonné la pratique et attendent d’elles qu’elles continuent.

Q : Sarah G. Epstein :

Votre programme parle-t-il de la contraception avec les femmes afin qu’elles puissent espacer leurs grossesses et cesser d’avoir des enfants une fois que leurs familles sont complètes ?

A : Molly Melching :

Oui, Sally. Ceci représente un élément très important du programme de Tostan. Notre organisation estime en effet essentiel que les femmes soient informées des questions de santé reproductive et nous traitons de cette question non seulement dans le module santé mais aussi dans le premier module du programme sur les droits humains. Nous avons compris que si les femmes ne bénéficient pas d’abord d’une éducation en matière de droits humains, elles ont peur de parler de ces questions avec leurs maris. Tant le module sur les droits humains que celui sur la santé donnent aux femmes la confiance et les informations dont elles ont besoin pour discuter de manière convaincante avec leurs maris du besoin d’espacer les naissances. Tostan encourage une approche douce mais ferme et les hommes ont témoigné un fort soutien tant dans ce domaine que dans les efforts d’abandon des MGF.

Q : Charlotte Feldman-Jacobs :

Avec le nouveau gouvernement américain et le nouveau Secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, avec qui vous avez travaillé dans le passé, qu’aimeriez-vous voir porté à l’ordre du