Aïssata Fall
Africa Director, Regional Representative for West and Central Africa
Quel changement réel ces concepts apportent-ils aux personnes directement concernées, là où l’aide au développement devrait soutenir la croissance économique et le progrès social des pays ?
May 13, 2025
Africa Director, Regional Representative for West and Central Africa
Ce blog est le premier de notre série sur la place centrale des jeunes dans le développement local. Lisez l’introduction de la série ici, et découvrez le deuxième blog ici.
Au cours de mes 30 années dans le secteur du développement international, j’ai vu défiler de nombreuses tendances et mots-clés — comme décentralisation, développement local, renforcement de capacités — qui montent, retombent, puis reviennent en force, influençant les approches de l’aide au développement pendant des décennies. Aujourd’hui, les notions à la mode sont la localisation, le transfert de pouvoir et la décolonisation. La manière dont ces termes sont utilisés — ou mal utilisés — leurs contours flous et leur manque de précision peuvent détourner l’attention de leur véritable signification pour les populations qu’ils sont censés servir.
Quel changement réel ces concepts apportent-ils aux personnes directement concernées, là où l’aide au développement devrait soutenir la croissance économique et le progrès social des pays ?
Ces tendances témoignent d’un engagement constant en faveur d’interventions plus inclusives, durables et équitables, chaque époque apportant son lot de vocabulaire à la mode reflétant les aspirations et les défis contemporains de l’aide internationale.
Mais quelle signification ces termes, souvent définis en dehors du continent africain, ont-ils réellement pour celles et ceux à qui ils sont destinés?
Plutôt que d’analyser les nuances ou les usages contestables des termes employés pour décrire les concepts de l’aide au développement, je me concentre dans ce billet sur mon propre champ d’action : l’appui à l’élaboration de politiques publiques fondées sur des données probantes. La localisation et le transfert de pouvoir sont des notions centrales dans ce travail. Elles visent à renforcer les actions, décisions et pratiques qui orientent l’aide vers l’intérêt général, autrement dit, vers de meilleures politiques au service du bien commun.
Ces concepts visent à la fois à transformer les dynamiques de pouvoir entre acteurs internationaux et locaux, et à renforcer l’engagement des citoyens dans le développement de leurs propres pays. Mais que voulons-nous réellement dire, dans le secteur de l’aide, lorsque nous utilisons ces termes ?
La localisation cherche à renforcer l’autonomie locale et la prise de décision en transférant la gestion des programmes de développement à des acteurs locaux, notamment les ONG nationales, les collectivités territoriales et les communautés, afin que les décisions, priorités et méthodes soient mieux alignées avec les réalités du pays, et aient un impact plus durable.
Le transfert de pouvoir redistribue l’autorité des acteurs internationaux vers les acteurs locaux, réduisant la dépendance à l’égard des décisions prises à l’extérieur du pays, et contribuant à une approche plus inclusive et démocratique de la gouvernance du développement.
Lorsque les acteurs locaux définissent les priorités — et qu’ils valorisent et s’approprient le processus de changement — ils ont beaucoup plus de chances de réussir et de pérenniser les transformations positives, tout en utilisant les ressources de manière plus efficace. Une participation citoyenne accrue permet aux populations non seulement de définir leurs priorités et de participer à la planification des projets, mais aussi de jouer un rôle actif dans le suivi de la gestion des ressources budgétaires.
En mettant l’accent sur la participation locale — que l’on appelle participation citoyenne dans le langage des politiques publiques — les initiatives d’aide au développement reconnaissent les citoyens comme des détenteurs de droits, renforçant leur autonomie et leur résilience face à l’aide internationale. Le transfert de pouvoir favorise également la transparence et la redevabilité, en incitant les dirigeants locaux à rendre des comptes aux citoyens qu’ils représentent, soutenant ainsi un modèle de gouvernance plus participatif et équitable.
Mais dans le discours sur la localisation et le transfert de pouvoir, le terme citoyen est rarement utilisé. On lui préfère les expressions acteurs locaux, membres de la communauté ou communautés. Et cela pose problème.
Ces termes recouvrent des groupes et des individus très divers sans pour autant reconnaître leur capacité à participer de manière autonome aux processus de décision. Les experts reconnus soulignent l’importance d’intégrer les voix des “acteurs locaux” dans la prise de décision, plaidant pour une reconnaissance des individus comme véritables agents du changement. L’approche transformatrice de la redevabilité sociale renforce le rôle des citoyens dans la gouvernance et le développement afin de garantir une utilisation efficace, équitable et transparente des ressources, tout en favorisant la confiance et la collaboration entre les parties prenantes. Pourtant, même dans les approches les plus inclusives du développement et de l’aide humanitaire, qui valorisent le rôle des “acteurs locaux”, le terme citoyen demeure absent.
Volontairement ou non, l’usage dominant du mot communauté tend à minimiser le rôle des citoyens en tant qu’acteurs politiques dotés de droits et de responsabilités spécifiques. Le terme communauté désigne un groupe partageant des caractéristiques communes, et sert souvent à désigner les populations cibles des programmes ou interventions.
À l’inverse, le mot citoyen désigne un individu reconnu comme membre d’un État, avec des droits et des devoirs politiques, dont celui de participer activement à la vie démocratique et aux processus décisionnels. Si nous voulons vraiment contribuer à un processus de localisation et de transfert de pouvoir générant des changements de politiques durables au service des objectifs de développement de nos pays partenaires, ne devrions-nous pas nous adresser directement aux citoyens ?
Pour en savoir plus sur ce sujet, consultez les ressources suivantes :