La Polygamie en Afrique de l’Ouest : Ses impacts sur la fécondité, les intentions de fécondité et la planification familiale

De nombreuses femmes en Afrique de l'Ouest sont dans des mariages polygames, mais les besoins uniques et les préférences de ce groupe ne sont pas bien compris.

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De nombreuses femmes en Afrique de l’Ouest sont dans des mariages polygames, mais les besoins uniques et les préférences de ce groupe ne sont pas bien compris

L’Afrique de l’Ouest constitue actuellement l’une des régions du continent de l’Afrique mais aussi du monde qui détiennent les niveaux de fécondité les plus élevés.[1] Plusieurs facteurs, y compris la persistance de l’agriculture de subsistance et un système de lignage qui accorde une place importante à la descendance, ont contribué à un désir d’enfants et un niveau de fécondité plus élevés.[2] Cependant, les modèles de mariage, y compris la polygamie, ont également entraîné et contribué au paysage actuel des intentions de fécondité en Afrique de l’Ouest.

Les données récentes des EDS révèlent que le taux de polygamie est élevé dans la plupart des pays (Figure 1) avec une proportion de femmes en union polygame supérieure ou égale à 30 % dans huit pays et inférieure à 30 % dans deux pays (la Côte d’Ivoire et le Ghana).

 

Figure 1 : Proportion des femmes mariées en union polygame selon le pays

Sources : Ces données proviennent des Enquêtes démographiques et de santé (EDS) pour diverses années : Bénin (2017-18), le Burkina Faso (2010), la Côte d’Ivoire (2011-12), le Ghana (2014), la Guinée (2018), le Mali (2018), le Niger (2012), le Nigéria (2018), le Sénégal (2019) et le Togo (2013-14), https://dhsprogram.com/.

 

Plusieurs facteurs socio-économiques et culturels favorisent la pratique de la polygamie, dont :

  • L’écart d’âge important entre conjoints au moment du mariage et la structure par âge[3];
  • La sécurité et le respect qui viennent avec la polygamie[4];
  • L’opportunité pour le remariage après veuvage.[5]

Si plusieurs travaux ont souligné le recul de l’entrée en union en Afrique de l’Ouest et son impact sur la baisse de la fécondité, peu se sont intéressés au rôle de la polygamie dans le maintien de la fécondité élevée et dans l’utilisation de la planification familiale.[6] Pour mieux comprendre le rôle de la polygamie à l’égard de la fécondité et assurer que les besoins des femmes en union polygame sont pris en compte, il est donc important d’évaluer l’impact de la polygamie sur les intentions de fécondité et l’utilisation de la planification familiale. Cette étude aborde le sujet de la polygamie à travers trois questions principales :

  • Les femmes en union polygame ont-elles un niveau de fécondité plus élevé que les autres femmes ?
  • Les femmes en union polygame ont-elles des désirs d’enfants plus élevés que les autres ?
  • Quel est l’effet du type d’union sur l’utilisation des méthodes contraceptives ?

Pour apporter des réponses scientifiques à ces questions, les données issues des récentes Enquêtes Démographique et de Santé (EDS) de 10 pays d’Afrique de l’Ouest ont servi de cadre d’analyse, il s’agit : du Bénin (EDS 2017-18), du Burkina Faso (EDS 2010), de la Côte d’Ivoire (EDS 2011-12), du Ghana (EDS 2014), de la Guinée Conakry (EDS 2018), du Mali (EDS 2018), du Niger (EDS 2012), du Nigéria (EDS 2018), du Sénégal (EDS 2019) et du Togo (EDS 2013-14). Nous avons utilisé ces données pour établir des statistiques descriptives et mettre en œuvre des régressions multivariables afin d’estimer l’impact de la polygamie sur la fécondité, le nombre idéal moyen et la proportion de femmes utilisant la planification familiale. Les variables de contrôle incluent l’âge, le milieu de résidence, le quintile de richesse du ménage, le niveau d’éducation, l’activité professionnelle, le nombre de coépouses et le rang d’épouse. Pour des informations supplémentaires sur nos méthodologies, merci de vous référer au Annex 1.

Les femmes en union polygame n’ont pas un niveau de fécondité plus élevé que les femmes en union monogame

La figure ci-dessous montre l’analyse descriptive sur l’indice synthétique de fécondité (ISF) pour les femmes en union monogame et les femmes en union polygame. Cela représente le nombre moyen d’enfants qu’une femme aurait au cours de sa vie reproductive si les taux de fécondité actuels étaient maintenus constants. Les données ne montrent pratiquement pas de différence significative du niveau de fécondité entre les femmes en union polygame et celles des foyers monogames dans presque tous les pays.

 

Figure 2 : Indice synthétique de fécondité parmi les femmes en union selon le pays et le type d’union

Source : EDS.

 

Concernant les caractéristiques socio-économiques des femmes, les femmes en union polygame résidant en milieu rural avaient significativement plus d’enfants que celles résidant en milieu urbain. Par ailleurs, l’ISF des femmes en union polygame et monogame diminue avec l’amélioration du niveau de vie et du niveau d’éducation. Il ressort également de cela que les femmes actives professionnellement avaient un niveau de fécondité significativement faible par rapport aux femmes sans activité professionnelle quel que soit le statut marital (Annexe 2).

Considérant le rang d’épouse et le nombre de coépouses, les résultats descriptifs montrent qu’en union polygame le niveau de fécondité diminue avec le rang d’épouse et l’augmentation du nombre de coépouses.

Figure 3 : Indice Synthétique de Fécondité des femmes par rang d’épouse parmi les mariées polygames

Source : EDS.

Les femmes en union polygame ont des désirs d’enfants plus élevés que les femmes en union monogame

L’estimation du nombre idéal moyen d’enfants par femme (Figure 4) révèle que, dans la plupart des pays, les femmes en union polygame ont un nombre idéal moyen d’enfants plus élevés que les femmes vivant en union monogame. Les résultats de notre analyse sur le nombre idéal moyen d’enfants sur le statut marital révèlent que les femmes en union polygame ont 28 % plus la chance d’avoir des intentions pour un enfant additionnel par rapport aux femmes des foyers monogames (Annexe 3). Aussi, les résultats montrent que les femmes mariées ayant reçu une éducation de niveau primaire ou secondaire et supérieur, aussi bien que celles vivant dans des ménages de niveau de vie moyen ou riche ont des intentions de fécondité plus faible que celles n’ayant aucun niveau (Annexe 3).

 

Figure 4 : Nombre idéal moyen d’enfants par femme en union selon le pays

Source : EDS.

 

Les femmes en union polygame sont moins susceptibles d’utiliser la planification familiale que les femmes en union monogame

L’analyse descriptive de l’utilisation de la planification familiale selon le statut marital révèle que la proportion des femmes utilisant une méthode contraceptive est plus faible chez les femmes en union polygame que chez les femmes en union monogame (Figure 5). Par ailleurs, l’analyse multivariée révèle que toutes choses égales, les femmes mariées de polygames ont 14 % moins de chance d’utiliser une méthode de planification familiale par rapport aux femmes mariées de monogames. En ce qui concerne les autres facteurs associés à l’utilisation de la planification familiale, un nombre idéal d’enfants élevé par femme, une âge du partenaire plus avancé et la résidence en milieu rural réduisent la probabilité d’utiliser une planification familiale tandis que l’activité professionnelle de la femme mariée quant à elle augmente cette chance. La probabilité d’utiliser une planification familiale augmente avec le niveau de vie et le niveau d’éducation des femmes en union. (Annexe 4).

 

Figure 5 : Proportion de femmes utilisant la planification familiale selon le statut marital et le pays

Source : EDS.

 

On observe également que les femmes en union polygame ont des pourcentages de besoins en termes de planification familiale satisfaits par des méthodes modernes plus faibles que celles en union monogame (Figure 6). Toutefois, au Niger et au Sénégal, les résultats montrent peu de différence entre les femmes dans les unions polygames et celles dans les unions monogames. D’après d’autres constatations, le pourcentage de femmes utilisatrices actuelles de la planification familiale qui prennent la décision avec leur mari est plus faible pour les femmes en union polygame que celles en union monogame.

 

Figure 6 : Proportion de femmes avec une demande pour la planification familiale satisfaite par les méthodes modernes et proportion de femmes utilisatrices actuelles de la planification familiale qui prennent la décision avec leur mari (%) selon le statut marital et le pays

Source : EDS.

 

L’analyse de l’impact de la polygamie sur les intentions de fécondité et la planification familiale nous aide à mieux comprendre les intentions de fécondité des femmes dans les pays de l’Afrique de l’Ouest

Cette analyse approfondit notre compréhension sur le rôle de la polygamie sur la fécondité, les intentions de fécondité et l’utilisation de la planification familiale en Afrique de l’Ouest. Alors que le niveau de fécondité ne varie pas significativement entre les femmes en union polygame et les femmes en union monogame, les femmes en union polygame ont un désir d’enfants plus élevé et sont moins susceptibles d’utiliser la planification familiale comparées aux femmes en union monogame. Ces résultats s’appuient sur des analyses antérieures menées dans des populations spécifiques sur l’impact de la polygamie sur la fécondité, les intentions de fécondité et la planification familiale et les appliquent plus largement à la région de l’Afrique de l’Ouest.

Premièrement les résultats n’indiquent pas de différence significative du niveau actuel de la fécondité entre les femmes mariées en union polygame et celles en union monogame dans la plupart des pays, ce qui est semblable aux résultats des études antérieurs au Nigéria.[7] Notre analyse a validé ces résultats pour d’autres pays dans l’Afrique de l’Ouest.

Par ailleurs, d’autres résultats indiquent que les intentions de fécondité sont plus élevées chez les femmes en union polygame que chez celles en union monogame. Ce résultat pourrait être lié à la concurrence entre coépouses en matière de fécondité. Par exemple, les études sur les Yoruba de l’ouest du Nigéria ont montré que dans les couples polygames, les jeunes épouses ayant un statut inférieur ont un plus grand désir d’améliorer leur statut en ayant un enfant de sexe masculin ou en accouchant plus d’enfants que les épouses les plus âgées.[8] D’autres recherches ont également prouvé que la concurrence entre les épouses s’intensifie lorsque les femmes dépendent plus directement de leur mari pour leur épanouissement émotionnel ou l’accès aux ressources.[9]

Dans la plupart des pays inclus dans cette étude les femmes mariées de polygames sont moins susceptibles d’utiliser une méthode contraceptive que les femmes mariées de monogames. Alors qu’une étude antérieure au Nigéria a trouvé un résultat différent[10], notre résultat pourrait s’expliquer en partie par le fait que les épouses de polygames seraient réticentes à l’utilisation des méthodes contraceptives en raison des désirs élevés d’avoir plus d’enfants. En outre, la faible autonomie des femmes en union polygame qui rend difficile la négociation dans le couple pour l’accès à la planification familiale pourrait expliquer cette différence avec les femmes en union monogame.[11]

Les recherches futures pourraient s’appuyer sur cette analyse en abordant certaines des limites existantes. La première limite est liée à l’absence de données anthropologiques qualitatives susceptibles d’aider à comprendre certains comportements dans la société qui pourraient avoir un impact sur le niveau de la fécondité. Par exemple dans une société où il existe une préférence pour les garçons, des coépouses n’ayant pas encore de garçon auraient tendance à faire une concurrence de maternité pour donner naissance à « l’héritier » du mari. Une autre limite se trouve au niveau de l’endogénéité entre la polygamie, la fécondité et même les intentions de fécondité. En effet, une faible fécondité de la femme pourrait entraîner l’homme à prendre de nouvelles coépouses. Enfin, l’étude est limitée par l’absence de certaines variables fortement corrélées à la fécondité telle que la perception que la femme a sur les désirs de son mari en termes de fécondité.

La présente étude n’a pas traité toutes les raisons socio-culturelles, économiques, ou autres qui pourraient ajouter un contexte important à ces différences en désirs de fécondité, ni tenté d’expliquer tous les facteurs qui y contribuent. Les explorations d’autres facteurs, tels que l’ethnicité ou la religiosité, peuvent faire l’objet de futures recherches à ce sujet afin de comprendre des implications des désirs de fécondité chez les femmes en union polygame. Un autre aspect qui n’a pas figuré dans cette étude est le rôle du mari dans la prise de décision au sein du couple ou l’union polygame, et son rôle en tant que décideur au sein de la famille en matière de fécondité ou d’utilisation contraceptive. L’exploration du rôle du mari et des autres facteurs influençant les choix de fécondité chez les femmes en union polygame mérite une exploration plus approfondie pour en ressortir les implications programmatiques et politiques.

Recommandations

Dans les pays de la région d’Afrique de l’Ouest inclus dans la présente étude, il n’existe aucune politique ni programme spécifique ciblant les couples polygames pour répondre à leurs besoins en matière de planification familiale. En dehors du statut juridique de la polygamie dans chaque pays, il demeure important de reconnaître l’étendue de la pratique dans la région et de considérer la polygamie comme l’un des facteurs contribuant à l’environnement d’accès à la santé sexuelle et reproductive. Cette étude démontre qu’il existe entre femmes en union polygame et femmes en union monogame des différences identifiables en matière de désirs de fécondité et d’utilisation contraceptive, qui méritent d’être intégrées dans des programmes et campagnes de sensibilisation.

Avec une compréhension plus approfondie des éléments socio-culturels, religieux, et genrés de la prise de décision au sein des unions polygames, des décideurs et responsables de programme chargés de l’accès à la santé sexuelle et reproductive devraient :

  • Mettre en œuvre une politique nationale avec des directives de planification familiale répondant aux besoins uniques des couples polygames, y compris des services de conseils en matière de planification familiale de qualité et d’engagement des hommes ;
  • Mettre en œuvre des systèmes de collecte de données standardisés pour recueillir et ventiler les mesures de planification familiale par type d’union ;
  • Cibler plus de programmes de sensibilisation et partage d’information avec les maris en union polygame, à l’instar du programme « École des maris » ;
  • Adapter des messages visant à inclure les femmes et unions polygames dans le partage de connaissances et le counseling sur la santé sexuelle et reproductive, en prenant en compte des normes sociales influant sur la pratique de la polygamie ;
  • Identifier les points d’entrée pour les initiatives ciblant l’espacement de naissances et l’utilisation de la planification familiale par les femmes en union polygame.

 

Références

[1] Toshiko Kaneda, Charlotte Greenbaum, et Carl Hobbs, Fiches de données sur la population mondiale 2021 (Washington, DC : PRB, 2021).

[2] John Bongaarts, “The Measurement of Wanted Fertility,” Population and Development Review 16, no. 3 (1990): 487-506; John C. Caldwell et Pat Caldwell, “The Cultural Context of High Fertility in Sub-Saharan Africa,” Population and Development Review 13, no. 3 (1987): 409-37.

[3] Sadio Ba Gning et Philippe Antoine, « Polygamie et personnes âgées au Sénégal, » Mondes en développement, no. 3 (2015) : 31-50.

[4] Solène Lardoux et Etienne Van de Walle, « Polygamie et fécondité en milieu rural sénégalais, » Population 58, no. 6 (2003) : 807-36.

[5] Fatou Binetou Dial, « Divorce, remariage et polygamie à Dakar, » Le mariage en Afrique. Pluralité des formes et des modèles matrimoniaux (Québec : Presses de l’Université du Québec, 2014) : 250-65 ; Gning et Antoine, « Polygamie et personnes âgées au Sénégal. »

[6] Shelley Clark, Alissa Koski, et Emily Smith‐Greenaway, “Recent Trends in Premarital Fertility Across Sub‐Saharan Africa,” Studies in Family Planning 48, no. 1 (2017): 3-22; Barbara S. Mensch, Monica J. Grant, et Ann K. Blanc, “The Changing Context of Sexual Initiation in Sub‐Saharan Africa,” Population and Development Review 32, no. 4 (2006): 699-727.

[7] Jelaludin Ahmed, “Polygyny and Fertility Differentials Among the Yoruba of Western Nigeria, » Journal of Biosocial Science 18, no. 1 (1986): 63-74 ; Helen Chojnacka, “Polygyny and the Rate of Population Growth,” Population Studies, 34, no. 1 (1980): 91-107.

[8] P. O. Olusanya, “The Problem of Multiple Causation in Population Analysis, With Particular Reference to the Polygamy-Fertility Hypothesis,” The Sociological Review, 19, no. 2 (1971): 165-78; Osei-Mensah Aborampah, “Plural Marriage and Fertility Differentials: A Study of the Yoruba of Western Nigeria,” Human Organization 46, no. 1 (1987): 29-38.

[9] Riley Bove et Claudia Valeggia, « Polygyny and Women’s Health in Sub-Saharan Africa, » Social Science & Medicine 68, no. 1 (2009): 21-9.

[10] Bala Audu et al., “Polygamy and the Use of Contraceptives,” International Journal of Gynecology & Obstetrics 101, no. 1 (2008): 88-92.

[11] Abdellatif Lfarakh, « Préférences, comportements et besoins non satisfaits en matière de planification familiale, » (2005).