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La lutte contre la malnutrition infantile en Afrique subsaharienne : des progrès mitigés selon les enquêtes

(Octobre 2008) La malnutrition chronique constitue depuis longtemps un problème persistant qui affecte les jeunes enfants de l’Afrique subsaharienne. Un pourcentage élevé de ces enfants n’atteint que rarement les normes internationales en matières de taille pour leur poids, une indication de rachitisme. La région enregistre aujourd’hui le taux le plus élevé au monde de rachitisme infantile — 43 % — sans guère trace d’amélioration au cours des 15 dernières années. À titre de comparaison, le pourcentage d’enfants atteints de rachitisme en Asie du Sud-Est a chuté de 52 % à 42 % entre 1990 et 2006.1

Le nombre de personnes mal nourries (d’un poids trop faible pour leur âge) de tout âge en Afrique subsaharienne est passé d’environ 90 millions en 1970 à 225 millions en 2008, avec une nouvelle augmentation prévue de 100 millions d’ici 2015, et ce avant même l’augmentation actuelle des cours des denrées alimentaires.

Évaluation des progrès par la mesure du rachitisme

Les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) avaient choisi l’insuffisance de poids comme un indicateur des progrès de la lutte contre la malnutrition, mais un nombre croissant de spécialistes de la nutrition et de la santé publique prône aujourd’hui un indicateur plus conceptuellement valide, une taille trop faible pour l’âge (ou rachitisme), pour mesurer les privations prolongées des besoins fondamentaux de l’être humain. Les enfants atteints d’un rachitisme modéré à sévère (et dont les ratios de taille par rapport à l’âge sont inférieurs de deux écarts-types à la norme internationale) subissent un retard de croissance physique, de développement et de performances scolaires et professionnelles. Les Enquêtes démographiques et de santé (EDS), menées par Macro International avec le soutien de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID), fournissent les indicateurs anthropométriques normalisés recherchés pour 24 pays de l’Afrique subsaharienne pour au moins deux points situés entre 1986 et 2006.

Certains pays ont enregistré quelques progrès. Le Sénégal, la Namibie, le Togo, l’Ouganda, l’Erythrée et la Tanzanie, soit un quart (six) des 24 EDS portant sur des pays d’Afrique subsaharienne ayant des populations et des niveaux de santé et de nutrition comparables, ont observé des réductions importantes des taux de rachitisme chez les enfants de moins de 3 ans ces vingt dernières année, avec des réductions d’au moins 2 points de pourcentage chaque année. . C’est au Sénégal que s’est produit la réduction la plus spectaculaire des taux de rachitisme, de 22 % en 1993 à 14 % à peine en 2005. On ne dispose pas de données de tendances tirées des EDS pour trois autres pays (le Botswana, le Gabon et la Gambie). Cependant, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et l’UNICEF, ces pays présentent déjà des niveaux de rachitisme faibles ou modérés.2

La majorité des pays de l’Afrique subsaharienne n’ont toutefois enregistré aucune amélioration de leurs taux de rachitisme depuis 1990 et/ou présentent des niveaux très élevés. Plus de 40 % des enfants y sont atteints d’un rachitisme modéré à sévère. Sur les 24 pays pour lesquels on dispose de données de tendances tirées des EDS, cinq présentent des taux très élevés et/ou une détérioration des niveaux de rachitisme pour les enfants de moins de 3 ans : le Niger, la Zambie, le Malawi, le Rwanda et Madagascar.

Représentation graphique des schémas de rachitisme les plus prononcés au niveau subrégional : le Sahel et l’Afrique du Sud-Est

La répartition géographique du rachitisme entre les 41 pays d’Afrique subsaharienne ayant une population d’au moins 1 million de résidents et pour lesquels on dispose de données fiables sur les tendances nationales ou de données transversales récentes révèle des schémas intéressants une fois appliquées à une carte. Deux régions présentent des niveaux élevés et stagnants ou des tendances à la détérioration : le Sahel (de l’Est du Mali au Tchad) et l’Afrique du Sud-Est (du Rwanda à la Zambie vers l’est jusqu’au Mozambique et Madagascar). Elles apparaissent en orange foncé sur la carte.

Pour d’autres pays qui sont sources de préoccupation, en jaune, des niveaux élevés de rachitisme ont été enregistrés lors d’enquêtes nationales récentes, mais l’absence d’une mesure de référence empêche la projection de tendances. Au nombre des pays ayant souffert récemment d’une certaine instabilité, qu’elle soit politique ou ethnique : la République Démocratique du Congo, la Sierra Leone et le Burundi.3

 


Niveaux et tendances du rachitisme infantile en Afrique subsaharienne



Note : Les pays en vert ont enregistré des améliorations importantes, même si dans certains cas les niveaux de rachitisme demeurent élevés.
Sources : Taux fondés sur les informations tirées des Enquêtes démographiques et de santé (www.measuredhs.com), des Enquêtes en grappe à indicateur multiple de l’UNICEF (www.childinfo.org) et de la base de données mondiale sur la croissance et la malnutrition infantile de l’Organisation mondiale de la Santé (www.who.int/nutgrowthdb/en/)


La carte révèle que, sur une base régionale, les taux de rachitisme demeurent relativement élevés dans l’essentiel de l’Afrique australe (en particulier en Namibie, au Botswana et en Afrique du Sud). Au cours des 20 dernières années, le rachitisme a diminué en Afrique de l’Est, passant de 46 % à
35 %, comme le démontrent les améliorations relevées en Ethiopie, en Ouganda et en Tanzanie, alors qu’il est resté identique ou s’est aggravé en Afrique de l’Ouest, au Sahel et en Afrique du Sud-Est.

D’où viennent ces différences ?

Comment se fait-il que certains pays aient réussi à améliorer l’état de la nutrition infantile entre les années 1980 et 2007 contrairement à d’autres ? Selon les recherches, la nutrition est généralement influencée par cinq facteurs interconnectés : l’instabilité politique, la pauvreté et l’inégalité, le manque d’efficacité des politiques de développement, les changements environnementaux et climatiques, et des programmes de sécurité alimentaire, de nutrition et de prévention sanitaire inadéquats et mal gérés. Nombreux sont les pays présentant des taux de rachitisme élevés ou stagnants qui sont parmi les plus vulnérables, au plan politique, à la suite de récents conflits internes et externes ; il s’agit, notamment, de la République Démocratique du Congo, de la Sierra Leone et de la Somalie.

  • L’accès des ménages aux denrées alimentaires, déterminé par l’accès à la terre, la main d’œuvre extérieure, le pouvoir d’achat, et la répartition interne des ressources du ménage.
  • Le recours par les ménages à des services de santé, de nutrition et de crèche adéquats pour les jeunes enfants (y compris l’allaitement exclusif, les aliments de sevrage et les soins préventifs) auxquels ils ont accès.
  • Les maladies ou conditions environnementales affectant la santé (notamment la mauvaise absorption des aliments) qui ont un impact sur l’utilisation biologique des denrées.4

Mis à part les facteurs d’ordre géographique, démographique, politique et macroéconomiques propres à chaque pays, il existe d’importantes disparités entre les formes prises par le rachitisme parmi d’une part les mères urbaines et plus éduquées et d’autre part les mères rurales et moins éduquées.5 Les membres de ce dernier groupe sont souvent deux fois plus susceptibles d’avoir des enfants de moins de 3 ans atteints de rachitisme. Qui plus est, les disparités entre zones rurales et zones urbaines, et entre ceux qui vivent dans des bidonvilles et les autres, s’amplifient.

Les facteurs démographiques compliquent les efforts de lutte contre le rachitisme

Plusieurs tendances démographiques observées en Afrique subsaharienne sont susceptibles d’entraver les efforts de lutte contre la malnutrition chronique chez les enfants. La première est la poursuite de la croissance rapide de la population, en particulier dans la plupart des pays où les taux de rachitismes restent stagnants, à l’exception du Sénégal et de l’Ouganda. Au sein d’un même pays, les pauvres — qui sont plus susceptibles de souffrir de malnutrition — présentent en général une plus forte fertilité que les non pauvres ; ceci augmente de manière disproportionnée la taille des populations à haut risque. Ces effectifs renforcés de population contribuent en outre à la pression croissante exercée sur les terres arables de moins en moins nombreuses et à la dégradation écologique des zones d’agriculture semi-arides à sèches et des pâturages nomades dans des pays tels que le Rwanda et l’Ethiopie.

Deux autres tendances observées dans la région — l’urbanisation rapide et la fluctuation des schémas de consommation — se traduisent par une demande accrue en produits agricoles par ceux qui bien souvent ne les produisent pas. Par suite, les pauvres de certains bidonvilles urbains, notamment ceux de Nairobi, vivent dans des conditions de nutrition pires que les pauvres des régions rurales.

L’étape suivante : éliminer les taux stagnants de rachitisme

Avant de pouvoir formuler des politiques et des programmes plus efficaces pour réduire les taux élevés et stagnants de rachitisme et d’en assurer la mise en application, les pays de l’Afrique subsaharienne doivent pouvoir mesurer les changements de manière fiable, puis évaluer l’efficacité des politiques et des programmes. Ceci exige des progrès dans quatre domaines :

  • Méthodologie : Il convient de disposer de nouvelles données chronologiques pour les pays les plus instables et les plus fragiles, dans les régions et lors des saisons les plus vulnérables ; le rachitisme doit être considéré comme l’indicateur de choix lors de l’analyse des réductions de plus longue durée de la pauvreté et de la faim ; et les systèmes de surveillance et d’information continus sur la sécurité alimentaire et la nutrition peuvent fournir des données plus ciblées et plus contextuelles concernant le rachitisme au niveau des ménages, au niveau agro-écologique et au niveau des programmes pour la formulation de politiques.
  • Politique : Les politiques multisectorielles basées sur des approches de nature holistique, lorsqu’elles sont mises en application de manière correcte, sont les plus susceptibles de réduire la malnutrition chronique. Ces politiques doivent cibler la réduction de la pauvreté, la sécurité alimentaire, l’éducation, la dynamique sexospécifique, le fardeau de la maladie et la population. L’aide internationale à la lutte contre le rachitisme chronique ne doit pas être interrompue pour les opérations de court terme d’aide alimentaire d’urgence (qui cible les groupes souffrant d’extrême malnutrition), et doit se concentrer sur le volet prévention.6
  • Programmes : Le renforcement des capacités locales de planification et de formulation de politiques, d’une part, et d’évaluation, de suivi et d’analyse des progrès accomplis en direction des objectifs du pays (de préférence parmi les OMD) d’autre part, est absolument essentiel pour réduire la faim et la malnutrition. Les programmes pro-développement et préventifs dans les domaines de la production alimentaire, de la propriété foncière, du travail, de l’éducation, de la dynamique sexospécifique, des soins de santé, et de l’eau sont, à long terme, plus importants que les programmes directs d’alimentation.7
  • Recherche et évaluation des études de cas : Les études de case et les analyses contextuelles des pays parvenant le mieux à réduire les taux de rachitisme peuvent offrir des lignes directrices de grande importance pour les politiques et les programmes de l’avenir. Le soutien de l’USAID, de l’UNICEF, de la FAO, de la Banque mondiale, et d’autres institutions majeures de financement et de conseil permettrait aux chercheurs d’évaluer, par exemple, la raison pour laquelle le Sénégal a enregistré un tel succès dans ses efforts de réduction du rachitisme au cours des deux dernières années (de 36 %), alors que de l’autre côté de la frontière, la Guinée voisine enregistrait une détérioration des niveaux de l’ordre de 31 %, ou celle de l’augmentation des taux de rachitisme de pair avec la réduction spectaculaire de la mortalité infantile en Zambie et au Malawi ;8 ou pourquoi certains pays (notamment l’Ethiopie et l’Erythrée) dans la Grande Corne de l’Afrique si souvent frappée par les grandes sécheresses, ont réussi à réduire le rachitisme malgré la famine et l’instabilité politique, alors que les progrès initiaux du Kenya stagnent depuis 1989.

Les décideurs politiques peuvent se procurer davantage d’informations sur les progrès de suivi des OMD de réduction de la pauvreté concernant le rachitisme en consultant des enquêtes comparatives fiables sur la santé et la nutrition, notamment les EDS, soutenus par l’USAID, et les enquêtes en grappe à indicateurs multiples, soutenues par l’UNICEF.9 Les responsables de la planification et de l’évaluation des programmes ont tout particulièrement besoin de savoir non seulement quels sont les pays dotés de programmes mais aussi l’emplacement, le nombre, le processus et les causes du rachitisme chronique au sein de chaque pays. Ils peuvent le faire encore mieux à partir de systèmes locaux de surveillance intégrés de l’alimentation et de la nutrition tenant compte des contextes, risques et vulnérabilités, ainsi que de la résistance et des capacités dans chaque secteur.

Note : Le présent article s’inspire de la recherché réalisée par les co-auteurs avec Eckhard Kleinau et Kathy Rowan. Voir Charles Teller et al. 2007, et Soumya Alva et al., 2008, cités ci-dessous. Vous êtes invités à envoyer vos commentaires à :
cteller@prb.org.


Charles H. Teller est chercheur-invité Bixby (Bixby Visiting Scholar) au Population Reference Bureau. Soumya Alva est analyste principal de la santé publique au Demographic and Health Research Group de Macro International.


Références

  1. Food and Agriculture Organization (FAO), « Soaring Food Prices: Facts, Perspectives, Impacts and Actions Required, » document de référence préparé pour la Conférence à haut niveau sur la Sécurité alimentaire : les défis du changement climatique et de la bioénergie, Rome, 3-5 juin 2008, consulté en ligne à : www.fao.org/foodclimate/conference/en/, le 15 septembre 2008.
  2. Organisation mondiale de la Santé (OMS), World Health Statistics, Child Growth and Nutrition Data Base, consulté en ligne à : www.who.int, ole 11 août 2008.
  3. Macro International, informations tirées des Enquêtes démographiques et de Santé, consultées en ligne à : www.measuredhs.com le 11 août 2008 ; et UNICEF/Childinfo, Multiple Indicator Cluster Surveys/MICS 3, rapports nationaux consultés en ligne à : www.childinfo.org/mics3, le 15 septembre 2008.
  4. Robert Black et al., « Maternal and Child Undernutrition: Global and Regional Exposure and Health Consequences, » The Lancet 371, no 9608 (2008) : 243-60.
  5. Charles Teller et al., « Five Emerging Patterns of Demographic, Health and Nutrition Transitions and Stalls in Africa, 1986-2006, » rapport préparé pour l’USAID, août 2007.
  6. Marie Ruel et al., « Age-Based Preventive Targeting of Food Assistance and Behavior Change for Reduction of Child Undernutrition in Haiti: A Clustered Randomized Trial, » The Lancet 371, no 9612 (2008) : 588-95 ; Macro International, informations tirées des Enquêtes démographiques et de santé ; et UNICEF/Childinfo, Multiple Indicator Cluster Surveys/MICS 3, rapports pays.
  7. Malawi, National Nutrition Policy and Strategic Plan, 2008-2011 (Lilongwe, Malawi : Bureau du Président et Cabinet, ministère de la Nutrition, juin 2008).
  8. Soumya Alva et al., « A Growing Gap Between Malnutrition and Mortality Among Children in Sub-Saharan Africa, » présenté lors de la réunion annuelle de la Population Association of America, la Nouvelle-Orléans, 19 avril 2008.

Pour d’autres exemples, consulter Teller et al., « Five Emerging Patterns of Demographic and Health Transitions and Stalls » et Alva et al., « A Growing Gap Between Malnutrition and Mortality. »