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La démographie d'Israël : une histoire unique

(Mars 2014) Les structures et tendances démographiques d’Israël sont uniques, un reflet de l’avenir complexe de la région qu’il soit politique, culturel ou religieux. Cet article s’attache à trois aspects de ce petit pays jeune : l’accroissement rapide de la population en seulement 65 ans, la fécondité élevée comparée à d’autres pays développés et le changement des structures démographiques des groupes ethniques et religieux du pays.

Une démographie particulière

En matière de croissance démographique, Israël représente un cas particulier parmi les pays développés. En 1948, Israël comptait seulement 806.000 habitants, mais le pays a connu un décuplement de sa population (chiffres de 2013), dû en grande partie à l’immigration de Juifs venant d’autres pays.1 Selon les données les plus récentes, la population d’Israël, estimée à 8,1 millions à la mi-2013, compte pour un peu plus de 3 pour cent de la population de la région Asie de l’Ouest (dénomination des Nations unies), et qui comprend la Turquie, l’Irak, l’Arabie Saoudite, le Yémen et la Syrie. L’Iran, situé dans la région Asie du Sud (toujours selon la classification des Nations unies), avait une population de 76,5 millions à la mi-2013.

Aujourd’hui, la fécondité est la cause principale de l’accroissement de la population en Israël – les femmes ont en moyenne 3 enfants, un taux élevé selon les standards européens. Il en résulte qu’Israël dispose pour le moment d’une population jeune, quoique vieillissante : 28 pour cent des Israéliens ont moins de 15 ans et 10 pour cent ont plus de 65 ans, les proportions européennes étant de 16 et 16 pour cent, respectivement. Avec un taux de fécondité relativement élevé et une structure par âge un peu plus jeune, ainsi qu’avec un solde migratoire légèrement positif, le taux d’accroissement démographique d’Israël est évalué à 1,9 pour cent par an.
Cependant, en ce qui concerne la plupart des autres indicateurs, Israël est semblable aux pays développés : le pays a de faibles taux de mortalité infantile, juvénile et maternelle et une espérance de vie à la naissance élevée (82 ans pour les deux sexes, ce qui est la meilleure espérance de vie de la région Asie de l’Ouest). Avec des indicateurs de santé comparables à ceux des dix pays les plus avancés dans le monde, la population d’Israël affiche des niveaux élevés d’éducation ainsi que des revenus en hausse.

À la différence de la plupart des pays en phase de transition démographique (le passage de niveaux élevés à des niveaux faibles de mortalité et de natalité), la mobilité socioéconomique des dernières années a été liée à un nombre relativement plus élevé d’enfants. Israël a une minorité importante de familles très religieuses avec des taux de fécondité qui sont au moins le double de la moyenne nationale. Il est peu vraisemblable que la fécondité d’Israël descende prochainement en-dessous du niveau de remplacement (2,1 enfants par femme), comme cela a été le cas dans la plupart des pays industrialisés.2 Il en résulte que la population d’Israël est censée atteindre 9,9 millions de personnes en 2025 et 13,9 millions en 2050. En 2050, la région Asie de l’Ouest aura une population de 405 millions (avec Israël représentant 3 pour cent de la population de cette région) et l’Iran devrait avoir un peu moins de 100 millions de personnes.

Israël a des identités culturelles, politiques et religieuses qui sont complexes. La diversité du paysage démographique au sein même d’Israël est évidente quand on regarde au-delà des seuls chiffres agrégés au niveau national. Début 2012, la population totale d’Israël (sans les travailleurs étrangers et les réfugiés) était de 7,8 millions. De ce total, 5,9 millions (75 pour cent) étaient Juifs ; 325.000 (4 pour cent) étaient les membres non-Juifs des familles de citoyens israéliens Juifs qui, d’après la Loi du retour de 1950, ont le droit de vivre en Israël et d’acquérir la nationalité israélienne ; et 1,6 million étaient des Arabes (21 pour cent) (voir le tableau). Une large majorité de la population arabe était musulmane, avec des minorités de Chrétiens, de Druzes et d’autres groupes religieux. Les travailleurs étrangers et les réfugiés étaient estimés à 300.000 (4 pour cent de la population totale de 8,1 millions).3 Le tableau montre la complexité de la situation démographique d’Israël. Il montre la population juive « au sens large » et la population arabe de l’Autorité palestinienne estimée à 3,8 millions, dont 2,2 millions sont en Cisjordanie (West Bank) et 1,6 millions à Gaza.4


Population d’Israël et des Territoires palestiniens, 2012

Région Juifs et membres des familles Arabes Travailleurs étrangers et réfugiés Total
Total 6.226.000 5.449.000 300.000 11.975.000
Israël 6.226.000 1.611.000 300.000 8.137.000
  Frontières d’avant 1967 5.672.000 1.298.000 300.000 7.270.000
  Jérusalem-Est 207.000 290.000 497.000
  Plateau du Golan 21.000 23.000 44,000
  Cisjordanie (West Bank) 326.000 326.000
Autorité
palestinienne
3.838.000 3.838.000
  Cisjordanie (West Bank) 2.238.000 2.238.000
  Bande de Gaza 1.600.000 1.600.000

Notes : Tous les chiffres sont arrondis. La population d’Israël comprend tous les résidents de Jérusalem-Est et du plateau du Golan, tout comme la population juive mais non arabe des Territoires palestiniens (Cisjordanie et bande de Gaza). La dénomination « Juifs et membres des familles » englobe les personnes enregistrées comme juives dans le registre de population d’Israël, aussi définies comme véritablement juives, plus les 325.000 non-Juifs qui ont immigré en vertu de la Loi du retour, et leurs descendants. La population de l’Autorité palestinienne représentée ici ne comprend pas Jérusalem-Est, déjà inclus dans la population israélienne. Les « Réfugiés » ont été alloués au territoire d’Israël d’avant 1967, c’est-à-dire les frontières existant avant la guerre des Six Jours (5-10 juin 1967).

Source : Chiffres ajustés d’après Sergio DellaPergola, « The Great Israeli Predicament: Why Demography Should Be Taken Seriously », Présentation au Woodrow Wilson Center for International Scholars, 14 février 2013.


Croissance de la population : Différences en cours entre les populations juives et arabes

Un défi pour le pays consiste dans les taux différentiels d’accroissement démographique qui se développent entre les populations juives et arabes. Parmi la population juive d’Israël, les Haredim israéliens (un groupe très traditionnel de Juifs orthodoxes) constituent 10 pour cent de la population juive totale d’Israël et ils augmentent à un rythme particulièrement rapide, résultat de leurs taux élevés de fécondité. Ils ont à peu près 7 naissances par femme, en comparaison de 2,3 naissances pour les femmes juives laïques et modérément religieuses. Ces taux élevés de fécondité ont pour conséquence une très jeune population Haredi (les Haredim représentent 20 pour cent de la population juive de moins de 20 ans).5 Il en résulte que cette jeune population Haredi (avec un âge médian de 16 ans) garantit la croissance rapide et continue d’un groupe qui pourrait représenter 30 pour cent de la population juive en l’an 2050.6
La population musulmane d’Israël a aussi augmenté, passant de 0,6 million en 1990 à 1,6 millions actuellement et on prévoit qu’elle continuera d’augmenter pour atteindre à peu près 2,1 millions en 2030, bien que la fécondité parmi les Musulmans puisse décliner.7 Néanmoins, on prévoit que la part de la population musulmane dans la population totale d’Israël va augmenter. En 2011, les Musulmanes donnant naissance pour la première fois avaient l’âge moyen le plus jeune, juste un peu au-dessus de 23 ans. L’âge moyen à la première naissance pour la population globale était juste au-dessus de 27 ans. Les femmes musulmanes commençant à avoir des enfants à un plus jeune âge, elles ont aussi le taux de fécondité le plus élevé comparé aux Juives, aux Chrétiennes non arabes, aux Druzes et aux femmes classées comme n’appartenant pas à une religion. Le taux total de fécondité pour les Musulmans était de 3,5 en 2011, comparé à 3,0 pour les Juifs, 2,2 pour les Chrétiens, 2,3 pour les Druzes et 1,8 pour les personnes classées sans appartenance religieuse.8

Les structures et tendances démographiques de la région sont importantes du fait qu’Israël et ses voisins tentent de déterminer leur avenir ; elles ajouteront sans aucun doute de la complexité aux dynamiques en cours.


Sergio DellaPergola est démographe à l’Université Hébraïque de Jérusalem. John F. May est démographe et chercheur invité au PRB. Allyson C. Lynch est stagiaire au PRB.


Références

  1. Israel Central Bureau of Statistics, “Israel in Statistics 1948-2007,” Statistilite 93 (Jérusalem: Central Bureau of Statistics, 1993); et Israel Central Bureau of Statistics, “Population and Demography,” consulté sur www1.cbs.gov.il, le 12 septembre 2013. Selon DellaPergola, au sein de la Diaspora juive plus large, la population juive mondiale était estimée à 13,7 millions au début de 2012—5,9 millions en Israël, 5,4 millions aux États-Unis et les 2,4 millions restant disséminés dans les nombreux pays de la Diaspora, surtout en Europe. Sergio DellaPergola, Jewish Demographic Policies: Population Trends and Options in Israel and in the Diaspora (Jerusalem: The Jewish People Policy Institute, 2011); Sergio DellaPergola, “How Many Jews in the United States? The Demographic Perspective,” Contemporary Jewry 33, nos. 1-2 (2013): 15-42; et Sergio DellaPergola, “World Jewish Population, 2012,” in American Jewish Year Book 2012, ed. A. Dashefsky et I. Sheskin (Dordrecht: Springer, 2013): 213-83.
  2. Sergio DellaPergola, Fertility Prospects in Israel: Ever Below Replacement Level? (New York: United Nations Department of Economic and Social Affairs, 2011).
  3. Sergio DellaPergola, “The Great Israeli Predicament: Why Demography Should Be Taken Seriously,” Présentation au Woodrow Wilson Center for International Scholars, le 14 février 2013.
  4. Les estimations de l’Autorité palestinienne sont plus élevées, surtout pour la Cisjordanie; Palestinian Central Bureau of Statistics, “Population Indicators,” consulté sur www.pcbs.gov.ps/site/881/default.aspx#Population, le 12 septembre 2013.
  5. Aaron David Miller, “Demographic Destiny,” Foreign Policy, 13 mars 2013, consulté sur www.foreignpolicy.com/articles/2013/03/13/israels_demographic_destiny_palestine, le 26 juin 2013.
  6. DellaPergola, “The Great Israeli Predicament: Why Demography Should Be Taken Seriously.”
  7. Pew Forum on Religion & Public Life, The Future of the Global Muslim Population, Projections for 2010-2030 (Washington, DC: Pew Research Center’s Forum on Religion and Public Life, 2011), consulté sur www.pewforum.org/files/2011/01/FutureGlobalMuslimPopulation-WebPDF-Feb10.pdf, le 9 janvier 2014.
  8. Israel Central Bureau of Statistics, “Population and Demography.”
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La planification familiale améliore la vie et la santé des pauvres en zone urbaine et économise de l’argent

Cette année, la Journée Mondiale de la Santé (7 avril) se concentre sur l’importance de la santé urbaine. L’urbanisation advient si rapidement dans certaines régions du monde que les villes ne sont pas à même de répondre aux demandes accrues de services liés à l’environnement, la santé et l’éducation, sans oublier les besoins en matière d’emploi, de logement et de transport d’une population qui pourrait doubler en moins de 25 ans. Trois-quarts des résidents urbains du monde en voie de développement habitent dans des bidonvilles ou dans des conditions similaires à celles d’un bidonville, souvent sans accès ni à l’eau potable ni à l’assainissement. A cause de ces conditions insalubres, une croissance démographique rapide dans les zones urbaines est spécifiquement liée à des problèmes de santé accrus. Le taux de maladie est bien plus élevé dans les bidonvilles urbains que dans les zones non-bidonvilles de ces mêmes villes et les problèmes sociaux et sanitaires liés à l’environnement, la violence, les blessures et les maladies non contagieuses sont plus fréquents.1

La planification familiale est l’une des interventions les moins chères, les plus rentables et qui a l’impact le plus durable sur la santé. Pourtant, elle est souvent ignorée en tant que stratégie essentielle pour améliorer la santé en zone urbaine. Bien que les services de planification familiale soient moins disponibles en zone rurale et dans les régions les plus isolées des pays les moins développés, les pauvres qui vivent en zone urbaine ont plus de difficultés à avoir accès aux services de planification familiale que les résidents plus riches, et ce pour diverses raisons liées au contexte social, culturel et financier. Etant donné que la moitié des résidents du monde vivent maintenant en zone urbaine, un meilleur accès des pauvres aux services de planification familiale dans les zones urbaines devrait être une forte priorité, surtout si l’on considère que la majorité des résidents urbains dans de nombreux pays vivent avec moins de 2 dollars américains par jour.

Croissance rapide des naissances non planifiées

La majorité de l’accroissement démographique en zone urbaine (60 pour cent) est due non pas à l’exode rural mais au fait que le nombre de naissances parmi les résidents urbains dépasse celui des décès. Comme la mortalité néonatale et infantile a diminué, ce taux d’ « accroissement naturel » est devenu particulièrement élevé dans les zones urbaines d’Afrique sub-saharienne, dont certains croissent de 4 pour cent par an. Cette croissance phénoménale présente des difficultés pour les gouvernements et l’environnement. De plus, les familles urbaines sont confrontées aux coûts accrus et à la plus grande complexité de la vie en ville et souhaitent avoir moins d’enfants que les résidents des zones rurales. De nombreuses femmes en milieu urbain indiquent qu’elles ont plus d’enfants qu’elles n’en souhaitaient. Alors que des femmes plus aisées en milieu urbain ont accès à la contraception, les femmes pauvres ont moins d’accès physique et financier aux services de santé reproductive de haute qualité et à une gamme abordable de contraceptifs répondant à leurs besoins. Comme la croissance des zones urbaines continue sans ralentissement, l’impact de la réduction des naissances non désirées ou non planifiées grâce à un accès équitable à la contraception ne devrait pas être sous-estimé. C’est l’un des investissements les plus logiques et les rentables que les responsables de la planification puissent faire.

Le nombre de femmes en âge de procréer augmente rapidement

A cause d’une forte fécondité passée, l’urbanisation rapide va probablement continuer. En Afrique sub-saharienne, par exemple, le nombre de femmes en âge de procréer va augmenter de 35 pour cent dans les 10 prochaines années. A moins que les femmes ne soient capables de limiter la taille de leur famille au nombre d’enfants qu’elles souhaitent, le nombre de naissances durant la même période augmentera de 33 pour cent. Ceci entraînera une croissance démographique encore plus rapide dans les zones urbaines et augmentera les défis pour répondre entre autres aux besoins de services de santé.

Les femmes pauvres qui désirent retarder leur grossesse ou cesser d’avoir des enfants mais n’utilisent pas de méthode moderne de contraception ont un « besoin non satisfait » de planification familiale particulièrement élevé. Au Sénégal et en Ethiopie, par exemple, une femme âgée de 15 à 49 ans sur trois vivants en zone urbaine a un besoin non satisfait de contraception. Le Nigeria a l’un des taux de besoins non satisfaits les plus faibles en Afrique sub-saharienne, 13 pour cent parmi les femmes urbaines et 17 pour cent parmi les femmes les plus pauvres. Toutefois, comme le Nigeria est de loin le plus grand pays d’Afrique, le nombre de femmes ayant un besoin non satisfait — 4 millions — est important et augmente au fur et à mesure que la demande de services de planification familiale croît.  Les millions de femmes ayant un besoin non satisfait de contraception contribuent directement à une rapide croissance démographique ainsi qu’aux forts taux de mortalité maternelle et infantile.

La planification familiale empêche des avortements et des morts maternelles

Les femmes en Afrique sub-saharienne ont une chance sur 22 durant leur vie de mourir de causes liées à la grossesse et l’accouchement. Alors que depuis 1990, la mortalité maternelle a baissé de 26 pour cent en Amérique Latine et de 20 pour cent en Asie, elle n’a baissé que de 2 pour cent en Afrique sub-saharienne.2 Les femmes qui accouchent avant l’âge de 18 ans ou après 35 ans, ou bien qui ont des grossesses rapprochées courent un plus grand risque de mortalité. Dans de nombreux pays d’Afrique sub-saharienne, la pratique du mariage et des grossesses précoces est fréquente. Ainsi, au Mali, au Malawi, au Mozambique et au Niger, 50 pour cent des femmes ont eu un enfant avant l’âge de  18 ans.3 Les femmes qui ont un enfant avant l’âge de 20 ans ont deux fois plus de chances de mourir de complications liées à la grossesse que des mères plus âgées. La planification familiale peut éviter ces décès en permettant aux femmes jeunes et sexuellement actives de retarder leur première grossesse jusqu’à ce qu’elles soient plus âgées et plus mures physiquement et émotionnellement. Toutefois, l’utilisation de contraceptifs parmi les jeunes femmes sexuellement actives, mariées ou non, est très faible dans la plupart des pays de l’Afrique sub-saharienne. Au Nigeria, seules 3 pour cent des femmes mariées et 37 pour cent des femmes célibataires âgées de 15 à 19 ans utilisent une méthode moderne de contraception.4

Dans certains pays d’Afrique sub-saharienne, y compris le Nigeria et le Kenya, entre 25 et 41 pour cent des grossesses non désirées sont avortées, et en Afrique sub-saharienne dans son ensemble, 99 pour cent des quasi 5 millions d’avortements qui ont lieu chaque année sont pratiqués par des personnes qui manquent des qualifications médicales requises, dans des conditions peu sures, ou les deux. L’Afrique sub-saharienne a la plus forte proportion au monde d’avortements parmi les femmes âgées de 15 à 19 ans (environ un sur quatre). En conséquence, l’avortement est l’une des principales causes de mortalité parmi les jeunes femmes africaines. En Afrique de l’Est, y compris au Kenya, les avortements à risque représentent 17 pour cent des morts maternelles. S’assurer que les jeunes ont accès aux informations et aux services de planification familiale dont ils ont besoin pourrait réduire notablement le nombre de morts imputables aux avortements ainsi  que celles résultant d’autres causes maternelles. A l’échelle mondiale, répondre aux besoins non satisfaits de contraception pourrait, selon les estimations, empêcher 50 000 morts dues aux avortements et 90 000 morts dues aux autres causes maternelles chaque année. Cinquante-cinq pour cent de ces vies épargnées seraient celles de femmes en Afrique sub-saharienne.5

La planification familiale évite des morts de nourrissons et d’enfants

L’espacement des naissances à au moins deux ans d’intervalle est l’une des stratégies les plus importantes et les plus efficaces pour réduire le nombre d’accouchements à problèmes et assurer la survie des enfants. Les nourrissons nés moins de deux ans après l’accouchement d’un autre enfant encourent deux fois plus de risques de décès durant leur première année de vie que les nourrissons nés trois ans après l’accouchement d’un autre enfant. Les nourrissons et les enfants nés de mères qui ont moins de 20 ans encourent aussi un plus fort risque de décès durant les premiers jours, mois ou années de leur vie. Au Sénégal, par exemple, un nourrisson sur 10 né d’une mère âgée de moins de 20 ans meurt avant l’âge d’un an, comparé à un sur 17 pour les femmes âgées de 20 à 29 ans qui ont un enfant. L’utilisation de la planification familiale peut éviter ces morts en permettant aux jeunes femmes d’éviter les grossesses qui sont trop précoces, ne sont pas désirées et sont trop rapprochées. Au Sénégal, la planification familiale pourrait éviter 1,3 million de grossesses non désirées, 400 000 avortements et 200 000 décès d’enfants de moins de 5 ans durant une période 10 ans. Répondre aux besoins non satisfaits en contraception réduit aussi notablement le coût des services de vaccination universelle et d’autres interventions de santé pour les enfants, et facilite la capacité des gouvernements à améliorer la santé de toute la société.6

La planification familiale est une stratégie fondamentale mais sous-utilisée de prévention du VIH

On n’a pas accordé assez d’attention à l’importance de la planification familiale pour réduire la transmission du VIH de mère à enfant. Chaque année, plus de 577 2000 grossesses non désirées parmi les femmes séropositives en Afrique sub-saharienne sont évitées grâce à l’utilisation de la contraception, qui empêche déjà plus d’infections VIH parmi les enfants que la thérapie antirétrovirale (TAR).7 Bien qu’il soit essentiel que toutes les femmes ayant besoin de TRA y aient accès, plus d’un ½ million de grossesses supplémentaires non désirées parmi les mères séropositives pourraient être évitées chaque année si toutes les femmes de la région qui ne souhaitent pas tomber enceintes avaient accès à la contraception moderne. En Afrique du sud, plus de 400 000 grossesses non désirées par an pourraient être évitées parmi les femmes séropositives, évitant ainsi plus de 120 00 naissances de nourrissons séropositifs.8

La planification familiale promeut la durabilité environnementale et permet l’expansion des services d’éducation et de santé

En investissant dans la planification familiale, on sauve non seulement des vies mais on permet de réaliser d’importantes économies dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’environnement. En ayant moins d’enfants à éduquer, les gouvernements peuvent fournir des services d’assainissement et d’eau potable à une partie plus importante de leur population. Ceci peut alors présenter des bénéfices en termes de réduction des maladies transmises par l’eau et des décès dus à la diarrhée. Lorsque la croissance économique ralentit, la pression sur les ressources en eau et en terres limitées diminue de même que la dégradation de l’environnement due au déboisement, à la salinisation du sol et la pollution de l’air. Au Kenya, par exemple, si on répondait aux besoins non satisfaits en planification familiale en dépensant 71 millions de dollars, on pourrait selon les estimations réduire les dépenses dans le domaine de l’éducation de $115 millions, de l’immunisation de $37 millions et de l’eau et l’assainissement de $36 millions, des décès maternels de $75 millions et du paludisme de $8 millions. Pour chaque dollar dépensé en planification familiale, le Kenya recouvrirait $3,79 d’économies dans ces secteurs à eux seuls.9

L’équité de l’accès à la planification familiale pour les pauvres est une question de santé et de droits de l’homme

Les gouvernements sont quasiment tous d’accord que chaque enfant a le droit d’être désiré et que les femmes et les couples ont le droit de décider de leur plein gré du nombre d’enfants qu’ils auront. Dans la plupart des sociétés, les femmes pauvres sont celles qui ont le moins de chances d’être à même d’exercer le droit à la contraception, en partie parce qu’elles sont le moins à même de payer les services de planification familiale. Tant que les femmes pauvres n’auront pas la même capacité d’exercer ce droit que les femmes riches, non seulement la taille mais aussi le niveau d’inégalité des zones urbaines continuera à croître. Le pourcentage de personnes vivant sous le seuil de pauvreté continuera à augmenter et les disparités de revenus entre les riches et les pauvres augmenteront.

Les gouvernements et les planificateurs urbains devraient s’assurer que les pauvres reçoivent des fonds publics qui les aident et qui ont pour objectif d’améliorer la qualité des services de santé de la reproduction. Sans cette garantie, les subventions et les incitations à l’usage ont plus de chances d’être utilisées par ceux qui n’en ont pas tant besoin.10 Et les investissements en santé de la reproduction et planification familiale sont parmi les plus rentables qu’un gouvernement puisse faire. Au Kenya et au Nigéria, par exemple, il n’en coûte que $4,27 de dépenses annuelles pour empêcher une grossesse non désirée dans un couple résidant en zone urbaine en lui offrant des services assurés en clinique.11 Un tel investissement vaut la peine d’être fait pour bénéficier aux individus, aux familles et à la société. La Journée Mondiale de la Santé en 2010 est un moment opportun pour accorder à la planification familiale l’attention qu’elle mérite.


Karin Ringheim est principal conseillère en politique de gestion au Population Reference Bureau.


Références

  1. African Population et Health Research Center, Population and Health Dynamics in Nairobi’s Informal Settlements, Report of the Nairobi Cross-Sectional Slums Survey (NCSS) (Nairobi : APHRC, 2002).
  2. Susheela Singh et al., Adding it Up: The Costs and Benefits of Investing in Family Planning and Maternal and Newborn Health (New York : Institut Guttmacher /FNUAP, 2009).
  3. ICF Macro, Demographic and Health Surveys, Mozambique, 2003; Malawi, 2004; and Mali, 2006 (Calverton, MD : ICF Macro).
  4. National Population Commission et ICF Macro, Nigeria Demographic and Health Survey, 2008 (Abuja, Nigeria : NPC et ICF Macro, 2009).
  5. Singh et al., Adding it Up.
  6. Scott Moreland et Sandra Talbird, Achieving the Millennium Development Goals: The Contribution of Fulfilling the Unmet Need for Family Planning (Washington DC : The Futures Group/Policy Project, 2007).
  7. Heidi Reynolds et al., “The Value of Contraception to Prevent Perinatal HIV Transmission,” Sexually Transmitted Diseases 33 no. 6 (2006) : 350-56.
  8. Tiré de Heidi W. Reynolds, M.J. Steiner et Willard Cates Jr., “Contraception’s Proved Potential to Fight HIV,” Sexually Transmitted Infections 81 (2005) : 184.
  9. Constella Futures, POLICY Project, et Health Policy Initiative, 2005-2007. Pour de plus amples informations, veuillez consulter Rhonda Smith et al., Family Planning Saves Lives, 4th ed. (Washington, DC:  Population Reference Bureau, 2009).
  10. Davidson Gwatkin, “Overcoming Global Health Inequalities—Where Next?”, Séminaire de Politiques de Gestion du Population Reference Bureau, 16 décembre 2009.
  11. Moreland et Talbird, Achieving the Millennium Development Goals.
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Le vieillissement de la population présente des défis pour tous les pays

(Mars 2005) Selon le Population Bulletin de mars 2005 publié par le PRB, la population mondiale vieillit, ce qui présente de nombreux défis tant pour les pays riches que les pays pauvres.

Le Bulletin, ” Global Aging : The Challenge of Success ” (Vieillissement mondial : le défi de la réussite), note que les personnes âgées de 65 ans et plus représentent déjà presque un cinquième de la population dans de nombreux pays européens et que cette proportion augmente. Les auteurs, David Kinsella du U.S. Census Bureau et David Phillips de l’Université de Lingnan à Hong Kong, notent que dans de nombreux pays industrialisés, le nombre des grands-parents risque de dépasser celui des petits-enfants.

Les populations des pays en développement vieillissent aussi, entraînant de nouveaux problèmes sociaux pour les sociétés dont les moyens d’assistance publique limités. Sur le 1,5 milliard de personnes âgées de 65 ans et plus, 1,2 milliard d’entre elles vivront dans les pays les moins développés d’ici 2050.

Les taux de natalité en baisse entraînent le vieillissement démographique de l’Europe et du Japon

Les taux de natalité faibles ou en baisse, qui ont réduit le nombre annuel des naissances et amélioré les soins de santé permettant ainsi aux individus de vivre plus longtemps, sont les moteurs du vieillissement démographique. L’Italie est, parmi les principales nations, ” la plus vieille ” : en effet, presque 20 % de la population y est âgée de 65 ans et plus. Le Japon, la Grèce et l’Allemagne ne sont pas loin derrière.

Les défis économiques et sociaux qu’engendrent l’augmentation du rapport de l’âge de la retraite à celui de la population active préoccupent de nombreux gouvernements européens. Cependant, Kinsella et Phillips notent que les experts ont peu d’espoir d’observer le ralentissement de ce processus de vieillissement. Pour arrêter cette tendance démographique, il faudrait que les couples japonais et européens aient beaucoup plus d’enfants. Bien que l’immigration puisse ralentir ce vieillissement, elle ne réussirait toutefois pas à neutraliser ce processus à moins qu’elle ne soit d’une ampleur massive, ce qui la rendrait irréalisable au point de vue économique, politique et social.

Les défis se profilent à l’horizon des États-Unis et des pays moins développés

Le Japon et de nombreux pays européens sont parmi les premiers à devoir relever les défis que pose le vieillissement démographique, défis qui toucheront bientôt tous les pays, y compris les États-Unis. La population américaine est beaucoup plus jeune que celle des autres pays industrialisés : en effet, un huitième des Américains sont âgés de 65 ans et plus.

La proportion des personnes âgées devrait atteindre un cinquième de la population totale d’ici 2030 en raison du vieillissement des baby-boomers, ce qui reste bien au-deçà des projections du nombre de personnes âgées en Europe pour la même période. Le vieillissement démographique représente quand même un fardeau de plus en plus lourd pour le système de sécurité sociale et les services publics américains. La question représente un enjeu politique de taille au cours du deuxième mandat du gouvernement Bush. Bien que de nombreux pays moins développés aient réussi à faire diminuer les taux de natalité qui avaient entraîné l’explosion démographique des décennies passées, Kinsella et Philips soulignent toutefois qu’une fécondité amoindrie a provoqué un vieillissement démographique rapide dans certains pays.

Selon les auteurs : ” On prédit qu’entre 2000 et 2030, la proportion des personnes âgées va tripler dans les pays moins développés tels que la Malaisie et la Colombie “. Ils ajoutent qu’il est probable que la proportion des personnes âgées de 65 ans et plus atteindra 349 millions en Chine d’ici 2050, représentant un nombre supérieur à celui de la population américaine actuelle.

Autres tendances soulignées dans ce numéro du Bulletin :

  • La proportion des ” vieillards ” (c’est-à-dire les personnes âgées de 80 ans et plus) dans le monde s’accroît rapidement ;
  • les moyens traditionnels de soutien de famille pour les personnes âgées sont en perte de vitesse dans de nombreux pays, en raison de la diminution de la taille des familles et de la plus grande mobilité des populations ;
  • de plus en plus de personnes âgées dans le monde vivent seules, y compris plus d’un tiers des personnes âgées en Suède, au Royaume-Uni et au Danemark ; et
  • à l’échelle mondiale, le nombre de femmes âgées est largement supérieur à celui des hommes âgés (46 hommes pour 100 femmes âgées de 65 ans et plus en Russie en 2004 et 71 hommes pour 100 femmes aux États-Unis).

Mary Mederios Kent est la rédactrice du Population Bulletin.

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Épidémies émergentes en Chine : co-infections et populations mobiles

(Mai 2003) Depuis 1979, début des gaige kaifang (réforme et ouverture), la Chine a pris le chemin de son intégration dans le système économique mondial, les investissements étrangers sur son territoire et l’exportation de ses produits dans le monde entier. Pour ce pays, et son 1,3 milliard d’habitants, l’intégration économique a produit une mobilité sans précédent de ses populations, qui s’accompagne de contacts avec les touristes et autres personnes venues de l’étranger. La santé des populations chinoises est ainsi de plus en plus liée à celle des populations du reste de l’Asie et au-delà. L’apparition du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) démontre, à une époque d’interdépendance sociale, politique et économique accrue, que la Chine est astreinte à un effort national et international intensifié afin de juguler la propagation des maladies infectieuses.

La Chine n’est plus isolée du monde

Depuis 1979, les frontières de la Chine connaissent une ouverture progressive, d’où des mouvements massifs de populations vers l’étranger et vers la Chine. En 2002, la Chine a reçu quelque 97 millions de visiteurs1. Parallèlement, l’amélioration de l’économie a permis à un nombre croissant de Chinois de voyager sur le territoire national et à l’étranger, produisant ainsi des échanges commerciaux sans précédent entre le monde extérieur et toutes les provinces chinoises.

La plupart des visiteurs en Chine viennent d’Asie, notamment de la diaspora chinoise sise à Taiwan et à Hong kong. De fait, Hong Kong est le point de concentration essentiel des flux de populations à destination et en provenance de la Chine, depuis 25 ans, avec pour point d’orgue le retour de Hong Kong sous la souveraineté chinoise en 1997. Selon le ministère du Plan de Hong Kong, l’on comptait aux huit postes frontaliers entre Hong Kong et la Chine, en 2001, 117 millions de passages, soit trois fois plus qu’en 19902. Selon le ministère, ce chiffre pourrait dépasser 300 millions d’ici 2020. Outre des centaines de vols aériens et de traversées par ferry, l’un des postes frontaliers entre Hong Kong et la Chine est aujourd’hui ouvert 24 heures sur 24, offrant ainsi aux 6,8 millions de citoyens de Hong Kong un accès illimité à la Chine continentale. Les passages frontaliers connaissent leur summum au moment des fêtes traditionnelles, dont la plus importante reste la Fête du Printemps, c’est-à-dire le Nouvel An chinois.

L’interaction sociale et économique entre les habitants de Taiwan et ceux de la Chine a également connu une augmentation sensible ces quinze dernières années. En 1988, quelque 430.000 Taiwanais se sont rendus en Chine ; en 2002, ce chiffre se montait à quelque 4 millions3. Cette augmentation énorme se retrouve dans les résultats record des investissements et des échanges commerciaux taiwanais en Chine : la Chine constitue le principal marché des exportations de Taiwan, cette année, surpassant les États-Unis4. Les entreprises taiwanaises ont ouvert des bureaux et des usines sur tout le territoire chinois et de nombreux Taiwanais résident aujourd’hui en Chine. Les estimations diffèrent, mais l’on présume que quelque 300.000 Taiwanais vivent à Shanghai et que 200.000 autres environ sont installés dans les villes bordant le couloir Shanghaï-Nanjing, dans la province de Jiangsu5. Selon certaines estimations, le nombre de Taiwanais implantés dans les provinces australes, notamment Fujian et Guangdong, serait encore plus important. La majorité de ces “expatriés” taiwanais, 1 million selon certaines estimations, sont instruits, cadres supérieurs ou chefs d’entreprise, accompagnés de leurs familles, et représentent près de 4 % de la population taiwanaise (22,5 millions)6.

Les citoyens chinois jouissent aujourd’hui d’une liberté de mouvement sans précédent. Avant la “réforme et ouverture”, le hukou – c’est-à-dire le système d’enregistrement des ménages – restreignait les déplacements des habitants des zones rurales pour se rendre dans d’autres provinces ou zones urbaines, tout en assurant aux habitants des zones rurales l’accès aux services sociaux, coupons d’alimentation, scolarité et soins médicaux. Les unités de travail urbaines, ou danwei, contrôlaient les déplacements des travailleurs, dont les dossiers ne pouvaient être transférés à une autre unité que dans des circonstances spécifiques et avec l’aval des autorités idoines.

Dès 2001, plusieurs provinces ont assoupli le système de hukou, permettant ainsi une migration rurale accrue vers les zones urbaines. Un système provincial de pièces d’identité permet aux résidents de travailler dans toute leur province. Si les cadres instruits sont d’ordinaire libres d’aller travailler dans les villes de leur choix et possèdent les ressources nécessaires pour des soins médicaux, la plupart des travailleurs agricoles ne possèdent aucune assurance-maladie et peu de revenus disponibles pour régler les frais de traitement médical. Hors de leur résidence de domiciliation, les travailleurs agricoles n’ont pas droit aux soins subventionnés et ont peu accès aux établissements de soins payants des villes.

Les politiques adoptées par les autorités centrales ont encouragé la multiplication des possibilités de déplacement sur le territoire national. Tous les Chinois employés bénéficient de trois congés nationaux, d’une semaine ou davantage. Le Nouvel An, fin janvier ou début février, dure jusqu’à deux semaines, ce qui permet aux travailleurs migrants d’aller rendre visite à leurs familles et les Chinois, en général, ont ainsi la possibilité de se rendre sur les lieux où ont vécu leurs ancêtres, selon la tradition. Selon ses estimations, la municipalité de Guangzhou, province de Guangdong, a accueilli quelque 6 millions de touristes au moment du Nouvel An 2003. La fête nationale du 1er octobre et le 1er mai sont également l’occasion de grands mouvements des populations, puisqu’il s’agit de congés d’une semaine chacun7.

Des millions de Chinois se rendent également à l’étranger. Quelque 16,6 millions de Chinois sont rendus en 2002 à l’étranger pour affaires ou à des fins touristiques8. Les touristes chinois sont autorisés à se rendre dans plus de 30 pays, y compris récemment en Allemagne, pays de l’espace Schengen, donnant accès à 14 autres pays européens sans autre contrôle frontalier9. De nombreux pays, notamment ceux d’Asie qui étaient largement tributaires des revenus produits par le tourisme japonais dans le passé, s’ouvrent maintenant au tourisme chinois à titre de destinations touristiques privilégiées.

Démarche de la Chine en matière de santé publique

L’épidémie de SRAS démontre de façon bouleversante les risques sanitaires des maladies infectieuses, dans une économie mondiale interdépendante. A l’instar de nombreux autres pays, le système de santé de la Chine ne reflète pas les avantages économiques de la mondialisation. En outre, les autorités centrales ont cédé aux provinces les pouvoirs budgétaires, et les financements et l’encadrement au niveau central et local sont désormais inférieurs à ce qu’ils étaient avant 1979.

La réponse de la Chine face au syndrome respiratoire aigu sévère, depuis trois mois, est la copie conforme de ce qu’elle fut face au VIH/SIDA, ces trois dernières années. Dans les deux cas, il s’est agi d’une dénégation. Les autorités sanitaires sont en outre immobilisées par un système juridique conçu de manière à dissimuler tout désastre aux yeux du monde extérieur. Le secret d’État interdit aux autorités locales de signaler toute poussée épidémique, jusqu’à ce que le ministère de la Santé publie un communiqué à cet effet. Ainsi, en vertu de la loi de 1989 sur les maladies infectieuses, les gouvernements locaux ne peuvent “annoncer la désignation d’une zone épidémique”, ni prendre de meures d’urgence, par exemple des mesures de quarantaine, sans en demander l’autorisation officielle préalable auprès de l’ “échelon immédiatement supérieur”.

Ce n’est que lorsque le Premier ministre, Wen Jiabao et le vice-Premier ministre, Wu Yi , se sont penchés sur la crise du syndrome respiratoire aigu sévère, que la bureaucratie médicale a opéré une mobilisation interne à partir des comptes rendus provinciaux présentés à Beijing et que la coopération avec la communauté médicale internationale a commencé. Le 4 avril, Wu Yi s’est rendu au Centre chinois de prévention et de soins des maladies infectieuses et a ordonné aux cadres du Centre de mettre en place un mécanisme d’urgence pour prendre en charge les poussées subites de cas infectieux, ce mécanisme devant inclure un système d’information de santé publique, un dispositif d’alerte rapide et de compte rendu.

Les maladies infectieuses continueront à toucher les populations sous-desservies

Étant donné l’immensité démographique de la Chine, ses ressources limitées et la réticence politique, les autorités sanitaires chinoises n’ont pas été en mesure de suivre avec précision la gamme de problèmes de santé et d’y répondre efficacement. Un budget de santé publique insuffisant, des services de santé ruraux inadéquats et une surveillance médiocre empêchent tout investissement efficace de ressources afin de juguler la propagation de maladies infectieuses, telles que l’hépatite, la syphilis, le VIH et la tuberculose (TB).

Hépatite

L’hépatite B et C touche plus de 200 millions de Chinois. L’hépatite B touche 170 millions de personnes (soit 14 % de la population), alors que l’hépatite C, plus grave, touche environ 40 millions de personnes (soit 3,3 % de la population)10. L’hépatite, à l’instar du VIH, est transmise par contact sexuel, l’échange d’aiguilles, l’utilisation de matériel médical non stérilisé et les produits sanguins contaminés. Il existe un vaccin (US$4,00) contre l’hépatite B, mais les vaccinations restent limitées : 10 % à 40 % dans les zones rurales et ce, en dépit d’une aide étrangère importante pour en couvrir en partie le coût 11. L’hépatite B et C, qui produit une morbidité chronique du foie, contribue à la détérioration de la santé générale des populations, notamment lorsqu’il s’agit d’une co-infection chez les séropositifs et les sidéens. Tout comme de nombreuses autres maladies infectieuses, les malades restent asymptomatiques pendant de longs laps de temps et ignorent souvent qu’ils en sont porteurs, ce qui les amène, sans le savoir, à contaminer d’autres personnes.

Syphilis

La syphilis et autres infections sexuellement transmissibles (IST) constituent un grave problème sanitaire en Chine. De 1993 à 1999, la croissance moyenne du taux d’incidence se situait à 84 % par an12. De manière significative, la région côtière a été la première signalée à cet égard et sa source présumée a été la venue d’étrangers dans les villes qui ont, les premières, ouvert leurs portes aux échanges commerciaux et touristiques. La transmission s’est ensuite propagée aux zones rurales13. Le taux de croissance exponentiel des IST est une cause d’inquiétude profonde pour plusieurs raisons. Les IST sont difficiles à contrôler en raison de la nature intime de leur transmission, de la réticence des porteurs à faire appel aux services médicaux aux fins de traitement et, dans certains cas, en raison de l’absence pendant longtemps de symptômes. Les IST favorisent en outre la propagation d’autres infections, notamment le VIH/SIDA.

VIH/SIDA

Selon les estimations, entre un et deux millions de Chinois sont séropositifs ou sidéens et 15 millions d’entre eux le seront, d’ici à l’an 2010, si des mesures efficaces ne sont pas prises14. Le système de santé chinois n’est pas en mesure de faire face à la propagation du VIH, ni de traiter les séropositifs ou les sidéens en raison de ses capacités insuffisantes, notamment une épidémiologie médiocre, l’absence de médecins formés à cet effet, l’accès restreint aux traitements efficaces et l’absence de plan national de prévention et d’éducation.

Tuberculose

Il y a en Chine 550 millions de personnes infectées au bacille de la tuberculose, dont 4,5 millions présentent une tuberculose active et entre 120.000 et 250.00 décès surviennent chaque année. Quelque 80 % des tuberculeux, en Chine, vivent dans des zones rurales et 63 % d’entre eux sont jeunes ou d’âge moyen, d’où une charge économique importante pour les familles touchées15. La tuberculose est prévalente dans les régions pauvres et, étant donné que son traitement est long et onéreux, de nombreux malades arrêtent de prendre les médicaments avant l’achèvement du cycle de traitement. La résistance de la tuberculose aux médicaments atteint donc près de 30 %, ce qui contribue à la propagation de cette maladie. Depuis 15 ans, les Nations Unies, la Banque mondiale, le Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, ainsi que les organismes d’aide britannique et japonais apportent leur concours aux programmes de traitement de la tuberculose en Chine. En dépit de millions de dollars investis, selon l’Organisation mondiale de la Santé, la Chine fait face à d’importantes difficultés pour contrôler la tuberculose, en raison notamment de l’étendue de son territoire, de sa forte démographie et d’un engagement politique très hésitant16.

Quelles sont les perspectives pour la Chine ?

Une intégration économique mondiale accrue, une multiplication des déplacements à travers les frontières et sur le territoire national, ne feront qu’aggraver davantage les difficultés gigantesques auxquelles est confronté le système de santé en Chine. La grande majorité des habitants est dépourvue d’assurance-maladie. Les hôpitaux ont davantage recours aux services de soins payants pour rester en activité : il est donc difficile aux pauvres et à la classe moyenne inférieure de se prévaloir de soins de prévention ou de traitement. La situation économique chinoise s’est certes améliorée ces trente dernières années, mais les budgets de santé publique octroyés par les autorités centrales restent déficients et l’aide internationale n’a pas développé des capacités suffisantes dans ce secteur pour réagir efficacement aux maladies émergentes, tells que le VIH ou le syndrome respiratoire aigu sévère.


Andrew Thompson, boursier de recherche Freeman pour les Études sur la Chine auprès du Center for Strategic and International Studies (CSIS) à Washington D.C., a effectué de nombreux déplacements en Chine. Il parle, écrit et lit couramment le mandarin.


Références

  1. Xinhua, “China’s cross-border tourism prospers in 2002”, 31 décembre 2002.
  2. Antoine So, “500,000 in weekly trips across border”, South China Morning Post, 22 mai 2002.
  3. Ministère des Affaires économiques, Conseil des affaires de la Chine continentale, Taiwan, données consultée en ligne à www.mac.gov.tw, le 2 mai 2003.
  4. Les statistiques des exportations de Taiwan conjuguent Hong Kong et la Chine. Pour toute l’année 2002, 24 % des exportations de Taiwan ont eu pour destination la Chine, par rapport à 20 % vers les États-Unis. Source : direction des Douanes, ministère des Finances, République de Chine, consultées en ligne à www.moeaboft.gov.tw, le 2 mai 2003.
  5. Joseph Kahn, “With one stop, flight to Taiwan from China ends a 50-year freeze”, New York Times, 27 janvier 2003.
  6. Carl Haub, Fiche de données sur la population mondiale 2002 (Washington, DC : Population Reference Bureau, 2002).
  7. William Kazer, “The mainland attraction”, South China Morning Post, 31 mai 2003. Consulter également Financial Times Information, “Tourism brings Guangzhou US$240M during spring festival”, 10 février 2003.
  8. “Lives of Chinese people improve markedly in five years”, People’s Daily, 5 mars 2003.
  9. Mark O’Neil, “Chinese tourists set to rise as EU prepares to ease visa restrictions”, South China Morning Post, 23 janvier 2003. Consulter également “Chinese tourists bring vitality to German market”, Xinhua/People’s Daily, 5 mars 2003.
  10. Z.T. Sun, L.H. Ming, X. Zhu et J.H. Lu, “Prevention and control of hepatitis B in China”, Journal of Medical Virology 67, no. 3 : 447-50. Consulter également la Fondation chinoise pour la prévention et le contrôle de l’hépatique, statistiques consultées en ligne à www.csyhepa.com, le 15 mars 2003.
  11. BBC News, “China launches battle against hepatitis”, 1er juin 2002.
  12. X. Gong et al., “Epidemiological analysis of syphilis in China through 1985 to 2000”, Chinese Journal of Sexually Transmitted Infections 1, no. 1 (2001) : 1-6.
  13. Gong et al., “Epidemiological analysis of syphilis in China”.
  14. Stephen Morrison et Bates Gill, Averting a full-blown HIV/AIDS epidemic in China (Washington, DC : Center for Strategic and International Studies, février 2003). Voir aussi Deutsche Presse-Agentur, “WHO urges China to curb growing TB crisis”, 4 juin 2001. Consulter également l’Organisation mondiale de la santé, WHO report 2003 – global tuberculosis control : surveillance, planning, financing.
  15. OMS, WHO report 2003 – global tuberculosis control : 30, consulté en ligne à www.who.int/gtb, le 2 mai 2003.
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La lutte contre la stigmatisation et la discrimination liées au SIDA

(Octobre 2002) Le débat s’intensifie sur la meilleure manière d’éliminer le stigmate attaché au SIDA et la discrimination qui en résulte au sein des milieux internationaux de la santé, alors que les experts tentent d’éradiquer ces obstacles rebelles à la prévention et au traitement du VIH/SIDA. Si l’on reconnaît de plus en plus que les programmes de lutte contre le VIH/SIDA doivent s’attaquer de front à ces questions, les chercheurs n’ont toujours pas trouvé de méthode efficace qui permette d’assurer le suivi des changements d’attitudes à l’égard des personnes affectées.

“Il est important d’identifier les formes de stigmates et de discrimination qui portent préjudice au contrôle de la maladie”, explique le Dr James W. Curran, épidémiologiste spécialiste du SIDA et professeur à l’université Emory à Atlanta. “Tout dépend du pays, de la législation en vigueur, des valeurs, et de la sous-culture concernée. Autant de questions devant être identifiées et résolues. C’est un peu comme les mauvaises herbes dans un jardin. Il faut constamment les arracher”.

Dans le monde entier, les réactions à l’épidémie du SIDA varient du silence et de la dénégation à l’hostilité et à la violence ouverte. De crainte de se voir rejeté et socialement isolé, les gens hésitent à se faire tester ou à se faire soigner s’ils sont séropositifs. Ceux qui sont infectés ou soupçonnés de l’être seront parfois mis à l’index ou maltraités, et se verront refuser des emplois ou des logements, voire soins et traitement dans les centres hospitaliers. Ces réactions entravent les efforts de prévention et de traitement et ne font qu’aggraver l’impact de l’épidémie.

Le stigmate et la discrimination, bien que distincts, sont des questions étroitement liées qui demeurent parmi les aspects les plus mal compris de l’épidémie, selon un rapport récent du programme Horizon du Population Council. Cette étude révèle que cette incompréhension est attribuable en partie aux aspects complexes de ces deux questions, mais le manque de connaissance est avant tout le fruit des carences au niveau des instruments et de la méthodologie utilisés pour analyser les problèmes.

L’un des nombreux problèmes auxquels se heurtent les chercheurs consiste à définir de manière claire le plus complexe de ces deux éléments, le stigmate social ; en effet, bien que certaines attitudes nuisibles soient aisément identifiables, d’autres demeurent cachées.

Le stigmate est souvent lié aux attitudes des gens les uns par rapport aux autres, si l’on se réfère à la définition traditionnelle qui fait référence à la présence d’une marque sur le corps qui représente une souillure plus profonde de la personne. Selon le sociologue Erving Goffman, dans son ouvrage de 1963 intitulé Stigma : notes on the management of spoiled identity1, ce terme fait généralement référence à des “caractéristiques indésirables” qui ne “correspondent pas à notre idée reçue de ce qu’un type de personne doit être”.

La discrimination se concentre sur les actes, les traitements et les politiques qui découlent de telles attitudes, et qui constituent parfois une violation des droits des personnes qui vivent avec les VIH/SIDA et de leurs proches. Ce terme fait référence à toute forme de distinction, de restriction ou d’exclusion dont une personne peut faire l’objet en raison d’une caractéristique personnelle inhérente2.

La simple évaluation de l’ampleur du problème que représente le stigmate dû au SIDA et la discrimination qui en résulte est une question d’une grande complexité. Le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA) décrit le stigmate comme “le phénomène le plus intangible”3. Et bien qu’il existe de nombreux programmes de prévention et de soins qui cherchent à atténuer ces attitudes négatives, selon la publication de l’ONUSIDA, Programmes nationaux de lutte contre le SIDA : guide de suivi et d’évaluation, pratiquement aucun d’entre eux ne dispose d’une méthode fiable qui permette de mesurer les effets nocifs du stigmate et de la discrimination.

La majeure partie des efforts de recherche a pour le moment cherché avant tout à définir le problème.

Comment analyser le concept du stigmate

Le stigmate dû au VIH/SIDA se nourrit des relations de pouvoir bien établies au sein de la société – celles qui sont associées à l’origine raciale et ethnique, au statut économique, à l’orientation sexuelle et au statut social inférieur des femmes.

“En fin de compte, le stigmate est à la fois source et produit de l’inégalité sociale”, déclare l’ONUSIDA. “Il trouve ses racines aux tréfonds de la structure sociale dans son ensemble et dans les normes et valeurs régissant notre quotidien. Il provoque la dévalorisation et la honte de certains groupes et donnent à d’autres un sentiment de supériorité”4.

Les attitudes traditionnelles à l’égard des femmes dans le monde entier contribuent à renforcer cette mise à l’index. Les stéréotypes, qui décrivent les femmes comme inférieures aux hommes au plan social, psychologique et économique, contribuent à forger la vision qu’a la société des femmes et des fillettes séropositives, qui souvent sont celles qui doivent s’occuper du reste de la famille même lorsqu’elles sont elles-mêmes malades. Dans les contextes où le VIH est associé aux rapports hétérosexuels, les femmes séropositives subissent la stigmatisation la plus forte, et font l’objet d’un rejet et d’un mépris plus important que les hommes. Au sein de maintes sociétés, les femmes sont maltraitées et abandonnées par leur mari alors que c’est celui-ci qui est à l’origine de leur infection.

Certaines différences biologiques entre les sexes sont source de responsabilités et de conséquences sociales et culturelles pour les femmes séropositives. L’une des plus importantes est l’aptitude des femmes à transmettre le virus à leur enfant lors de la grossesse et de l’accouchement ou par l’allaitement.

Une étude réalisée en Zambie, en Inde, en Ukraine et au Burkina Faso révèle que les femmes enceintes séropositives sont stigmatisées à plusieurs niveaux. Elles peuvent être dévalorisées en raison de leur sexe, de leur séropositivité, et de leur grossesse alors qu’elles sont infectées5. Qui plus est, dans les contextes où l’allaitement est la norme, si une mère infectée décide de ne pas allaiter son enfant, elle risque d’attirer l’attention sur sa séropositivité, de faire l’objet d’abus et d’être mise à l’index6. La situation est encore pire si ces femmes sont des travailleuses du sexe ou des CDI, ou considérées comme telles.

L’expression “transmission de la mère à l’enfant” invite souvent des réactions négatives dans la mesure où elle semble implique que c’est la mère qui est responsable de l’infection de son enfant. C’est ce que conclut l’étude effectuée en Zambie, en Inde, en Ukraine et au Burkina Faso. Réalisée par le Panos Institute en collaboration avec l’UNICEF mi-2001, cette étude a révélé que dans toutes les régions, le blâme est imposé aux femmes7.

“En Inde, la maternité représente la validation suprême de la femme”, note cette étude. “Avec l’augmentation du risque que courent les femmes mariées monogames de contracter le VIH, il est de plus en plus fréquent que les femmes soient tenues responsables de la transmission de l’infection à leur futur bébé. Le blâme se trouve renforcé si c’est un petit garçon qui est infecté, étant donné la valeur supérieure que l’on accorde aux enfants mâles”8.

Le stigmate attaché au VIH ne se limite pas à renforcer les inégalités sociales ; il intensifie également les craintes et les préjudices anciens à l’encontre des personnes frappées de maladies mortelles et de ceux qui font fi des règles de la société. La crainte de contracter une maladie mortelle est inextricablement liée avec la honte qui entoure une condition dont les modes de transmission comprennent les contacts sexuels et la toxicomanie – deux facteurs qui font l’objet de jugements concernant les normes sociales, dont les comportements sexuels acceptables.

C’est pour toutes ces raisons que les groupes considérés depuis longtemps comme à haut risque de contracter le VIH – dont les travailleurs du sexe, les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes et les utilisateurs de drogues injectables – font l’objet de discrimination à divers niveaux, en raison de leur statut, de leur travail ou de leur styles de vie. De fait, les personnes infectées sont systématiquement considérées comme appartenant à l’un de ces groupes, tandis que ceux qui sont déjà mis à l’écart sont souvent présumés infectés même s’ils ne le sont pas9.

Selon les chercheurs, la complexité se situe à plusieurs niveaux :

“Les travailleurs du sexe, les consommateurs de drogues injectables et les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes sont déjà stigmatisés pour plusieurs raisons ; qui plus est, ils sont étroitement associés au VIH dans divers contextes”, déclare le Dr Julie Pulerwitz, scientifique spécialiste du comportement pour le Programme Horizons et le PATH (Programme for Appropriate Technology in Health). “Il s’agit d’exemples de ce que l’on appelle le stigmate composé : un cycle de stigmates se renforçant mutuellement”.

La terminologie utilisée autour de l’épidémie contribue également à renforcer ces stéréotypes et ces comportements. Une étude réalisée par l’ICRW (International Center for Research on Women) dans des communautés en Éthiopie, en Tanzanie et en Zambie révèle l’usage d’expressions méprisantes pour décrire les personnes infectées par le virus. L’étude note qu’en Tanzanie, une personne ayant contracté le VIH ou le SIDA est souvent traitée de maiti inayotembea, ce qui veut dire “cadavre ambulant”, ou de marehemu mtarajiwa, ce qui veut dire “qui va bientôt mourir”. L’étude souligne que les gens ne parlent que très rarement du VIH/SIDA ouvertement ou nommément, préférant utiliser l’expression ” cette maladie dont nous avons entendu parler”10.

Par ailleurs, l’étude a découvert qu’en Tanzanie et en Zambie, les termes utilisés pour parler du SIDA dépendaient de l’histoire de l’épidémie au sein de la communauté et des personnes en parlant, selon qu’il s’agissait d’un jeune, d’un homme ou d’une femme. Les expressions étaient également influencées par la culture populaire et par les messages éducatifs sur le VIH.

Les mythes et l’ignorance persistante quant aux manière de contracter le VIH sont également responsable des comportements négatifs.

Selon une autre étude réalisée parmi les étudiants âgés de 18 ans d’un lycée de la Nouvelle Delhi, ceux faisant preuve des opinions les plus négatives à l’égard de l’épidémie étaient les moins susceptibles d’avoir reçu des informations sur le VIH11.

“Ils sont convaincus que seules les personnes qui ne sont pas “bien” attrapent le VIH”, révèle une étude réalisée par l’université de Stanford en Californie et la faculté de médecine Maulana Azad de la Nouvelle Delhi. Cette étude souligne que plus de la moitié des adolescents interrogés souhaitaient avoir accès à des informations sur le VIH, “mais dans la mesure où on leur a expliqué que cette éducation est immorale en raison de son association avec le tabou indien sur le sexe, ils n’osent pas en faire la demande ouvertement”12.

Analyse de l’impact des comportements de rejet

Les attitudes préjudiciables entourant le VIH/SIDA ont de nombreuses conséquences, tant pour les individus et leurs familles que pour les communautés et les sociétés. Les mesures de nature stigmatisante peuvent prendre différentes formes :

  • De crainte d’être mis à l’index par leur communauté, les hommes et les femmes refusent parfois de se faire tester pour déterminer leur statut, et ceux qui sont séropositifs dissimulent leur condition. Les personnes qui vivent avec le VIH ou le SIDA prennent très à cœur les réactions négatives d’autrui et éprouvent un sentiment de honte, de culpabilité et de dépression qui les pousse à s’isoler. Ces réactions constituent un obstacle majeur aux efforts de prévention du VIH et découragent les personnes infectées de recourir aux services médicaux et autres services disponibles. Le soutien et l’aide des membres de la famille, des amis et de la communauté sont d’une importance cruciale.
  • Parfois, les familles blâment le malade, le néglige ou le chasse pour tenter de dissimuler leurs liens avec l’épidémie et éviter toute réaction négative de leurs voisins. Lors d’une discussion de groupe organisée dans le cadre d’une étude effectuée en Zambie, les chercheurs ont appris que “lors des obsèques, lorsque les yeux et la bouche du défunt sont ouverts, cela indique que la personne est morte toute seule sans personne pour lui fermer les yeux et la bouche”13.
  • Les communautés, qui sont une autre source de soutien, rejettent les personnes ayant contracté le virus, considérant leur infection comme la conséquence d’actions dangereuses, imprudentes ou décadentes.
  • Au sein de la société au sens le plus large, les écoles, les lieux de travail, les églises, les hôpitaux, les dispensaires et d’autres institutions similaires contribuent parfois au maintien d’une atmosphère encourageant la discrimination et le stigmate. Les personnes infectées se voient refuser un emploi, une éducation, un traitement ou des soins ainsi que le droit à la confidentialité dans le contexte hospitalier.
    En Ukraine, les femmes séropositives n’ont pas le droit d’utiliser les mêmes tables de travail que celles que l’on croit non infectées. Les infirmières refusent de s’occuper des bébés nés de mères infectées de crainte de contracter le virus14.
  • Les lois et les politiques risquent parfois aussi de renforcer les attitudes négatives et de provoquer l’isolation de personnes et de leurs familles, avec par exemple des tests obligatoires de dépistage du VIH, des restrictions sur leurs déplacements, voire même la déportation. Les lois qui cherchent à protéger les droits des personnes sont parfois insuffisantes ou appliquées de manière inadéquate.

Surveillance de la stigmatisation et de la discrimination

Les communautés locales étudient différentes manières de lutter contre la stigmatisation en faisant circuler les informations, en offrant des services de conseil psychologique, en encourageant une participation accrue des séropositifs aux programmes et en enseignant des méthodes permettant de faire face à la maladie15. Au nombre de ces stratégies figurent également la surveillance du respect des droits de la personne et l’habilitation des personnes à refuser la discrimination. Cependant, une évaluation effectuée par le Population Council en 2001 a révélé que les chercheurs continuaient à se heurter à des problèmes sérieux pour faire face aux comportements sociaux profondément enracinés et aux actions préjudiciables en ce qui concerne l’épidémie.

Les chercheurs ont découvert que rares sont les approches retenues pour lutter contre le stigmate attaché au SIDA qui ont fait l’objet d’une évaluation, d’un suivi et d’une publication dans le monde entier, et que les approches n’ont pas toujours été adaptées aux besoins spécifiques de contextes culturels et de populations16. Ils ont noté par ailleurs qu’il serait possible de renforcer l’impact des projets grâce à la mise en place d’une approche exhaustive appliquée à l’ensemble de la communauté qui reconnaissent des liens à d’autres contextes sociaux plutôt que d’examiner un contexte unique de stigmate ou de discrimination.

Un projet cité en exemple est celui qui est organisé dans la province occidentale de Negros aux Philippines ; c’est une approche exhaustive qui examine les attitudes et les actions négatives susceptibles de se produire dans différents contextes17. Dans une région où l’épidémie n’en est qu’à ses débuts et où le personnel médical fait preuve de peur à l’égard des patients infectés, le projet de la Fondation Hope fournit un soutien technique, une formation et des informations dans les dialectes locaux. Grâce à des interventions ciblant différents niveaux de la société, le projet cible le personnel médical des hôpitaux municipaux et privés, les étudiants et les nouveaux professionnels du secteur de la santé ainsi que des agences religieuses, des institutions universitaires, des projets de conseil psychologique et des groupes de travailleurs.

Diverses études tentant de mesurer le stigmate lié au SIDA posent des questions de nature hypothétique. Selon le Dr Pulerwitz du programme Horizons/PATH, la manière la plus commune de mesurer ce phénomène consiste à déterminer la peur de la contagion dont font montre les gens.

“Certaines des enquêtes les plus utilisées au niveau international posent des questions qui mesurent essentiellement la peur de la contagion, comme par exemple “Êtes-vous prêt à boire dans le même verre qu’une personne séropositive ?” ou “Pensez-vous qu’un séropositif devrait avoir le droit de venir à l’école ?” Cependant, bien que ces questions soient importantes, elles ne représentent qu’un volet de la question extrêmement complexe du stigmate lié au VIH/SIDA”, explique t’elle. “Conscient de ce problème, le programme Horizons et ses études sur le stigmate testent en ce moment de nouvelles questions pour essayer d’englober les nombreuses dimensions du stigmate”.

L’ONUSIDA rappelle que l’un des problèmes majeurs réside dans l’absence d’un lien direct entre attitudes et comportement dans le contexte du VIH/SIDA, avec des différences considérables entre ce que les gens disent et ce qu’ils font concrètement. Les chercheurs ont découvert que les personnes exprimant des sentiments désobligeants à l’égard des séropositifs s’occupent parfois d’un parent malade à la maison, alors que d’autres qui prétendent ne pas avoir de sentiments négatifs à l’égard des personnes infectées font parfois preuve d’une discrimination ouverte à leur encontre dans des environnements tels que les centres hospitaliers. En l’absence d’une méthode plus efficace de mesure des comportements, les questions hypothétiques demeureront peut-être un élément important du processus18.

Des défis considérables s’opposent également aux efforts de mesure de la discrimination. En effet, les actions discriminatoires ne sont pas toujours évidentes. Si un employeur licencie une personne qui est séropositive ou qui a un membre de sa famille infecté, la discrimination peut revêtir des formes plus subtiles, comme au sein d’une église, ou lorsqu’un dirigeant communautaire refuse soins et soutien à une personne malade.

L’ONUSIDA rappelle que les enquêtes censées mesurer la discrimination ont tendance à se concentrer sur des questions auxquelles l’on doit répondre par oui ou par non – des questions tentant par exemple de déterminer s’il existe des lois pour la protection des personnes ou si ces lois sont appliquées. Toujours selon l’ONUSIDA, ces informations sont susceptibles d’aider les planificateurs de programmes à combler des carences importantes, mais elles seront d’une utilité limitée pour le suivi régulier des programmes nationaux de lutte contre le SIDA19.

L’intensification de la recherche est encouragée par plusieurs sources. L’Assemblée générale des Nations Unies exhorte les pays à adopter et à faire appliquer des lois et d’autres mesures pour lutter contre le stigmate et éliminer la discrimination à l’encontre des personnes vivant avec le VIH/SIDA, leurs proches et d’autres groupes vulnérables. À cette fin, l’ONUSIDA a lancé une campagne 2002-2003 à l’appui des stratégies nationales, régionales et internationales.

Aux États-Unis, le NIMH (National Institute of Mental Health) a vivement prôné l’organisation d’études empiriques pour recueillir des données qui seront ensuite mises à la disposition du personnel des services médicaux, des responsables des pouvoirs publics, et d’autres participant aux programmes de lutte contre le VIH/SIDA. Une conférence internationale sur le stigmate a la santé mentale a été organisée en 2001 par les NIH (National Institutes of Health), contribuant également à renforcer l’attention prêtée à l’épidémie. Les NIH poussent maintenant à l’organisation de recherches polyvalentes sur le rôle de la stigmatisation en matière de santé mondiale et sur les méthodes susceptibles d’en prévenir ou d’en atténuer les effets négatifs.


Yvette Collymore est rédactrice principale au PRB.


References

  1. E. Goffman, Stigma: notes on the management of spoiled identity (New York : Simon & Schuster, 1963).
  2. Programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA), Protocol for the identification of discrimination against people living with HIV (Genève : ONUSIDA, 2000).
  3. ONUSIDA, National AIDS programmes : a guide to monitoring and evaluation (Genève : ONUSIDA, juin 2000).
  4. ONUSIDA et Organisation mondiale de la Santé (OMS), Fighting HIV-related intolerance: exposing the links between racism, stigma and discrimination (Genève : ONUSIDA/OMS).
  5. Panos, Stigma, HIV/AIDS and prevention of mother-to-child transmission (Londres : Panos, decembre 2001).
  6. International Center for Research on Women (ICRW), Community involvement & the prevention of mother-to-child transmission of HIV/AIDS (Washington, DC : ICRW, 2002).
  7. Panos, Stigma, HIV/AIDS and prevention of mother-to-child transmission.
  8. Panos, Stigma, HIV/AIDS and prevention of mother-to-child transmission.
  9. Richard Parker et al., HIV/AIDS-related stigma and discrimination : a conceptual framework and an agenda for action (Washington : Horizons Program, 2002).
  10. ICRW, Understanding HIV-related stigma and resulting discrimination in sub-Saharan Africa (Washington, DC : ICRW, juin 2002).
  11. Suneet Pramanik et Cheryl Koopman, “Examination of the effects of HIV-associated stigma upon HIV awareness and education in teens in India,” abstrait presenté à la 14e Conférence internationale du SIDA à Barcelone (julliet 2002).
  12. Pramanik et Koopman, “Examination of the Effects of HIV-associated stigma upon HIV awareness and education in teens in India”.
  13. Panos, Stigma, HIV/AIDS and prevention of mother-to-child transmission.
  14. Panos, Stigma, HIV/AIDS and prevention of mother-to-child transmission.
  15. ONUSIDA, A conceptual framework and basis for action : HIV/AIDS stigma and discrimination (Genève : ONUSIDA, 2002).
  16. Richard Parker et al., HIV/AIDS-related stigma and discrimination : a conceptual framework and an agenda for action.
  17. Joanna Busza, Literature review : challenging HIV-related stigma and discrimination in southeast Asia : past successes and future priorities (Washington, DC : Horizons Program, 1999).
  18. ONUSIDA, Protocol for the identification of discrimination against people living with HIV.
  19. ONUSIDA, Protocol for the identification of discrimination against people living with HIV.